Dossier

Porcelaine : tendre à la parfaite harmonie du contenant et du contenu

02 septembre 2021
Par : Denis Courtiade

Fondamentalement liée aux arts de la table, la porcelaine représente plus de deux millénaires d’Histoire. Sa polyvalence fait d’elle l’alliée du service.

La porcelaine n’est pas une terre existant à l’état naturel, mais une pâte conçue par l’Homme à partir de trois roches principales : le kaolin, le quartz et la pegmatite orthose feldspath. Délayées dans l’eau, ces matières sont broyées, mélangées, tamisées puis filtrées, pour se présenter en galettes de pâte plus ou moins liquide. Ensuite, selon la forme désirée, la pâte est moulée, cuite, émaillée ou vernis, puis décorée… On parle de biscuit si la pièce est laissée délibérément sans émail et sans décor.

C’est en Chine, en - 206 à 220 après J-C, que sont apparues les premières céramiques chinoises* à base de kaolin. Elles furent importées au XVe siècle par les Italiens qui les baptisèrent « porcellana » en référence à l’apparence des coquillages dont ils les croyaient extraites.

C’est sous le règne de Louis XIV que la porcelaine remplace progressivement l’argenterie à la suite des édits royaux** de 1689, 1699 et 1709 : ceux-ci interdisent l’utilisation de l’or et de l’argent pour la platerie et prescrivent la fonte de l’orfèvrerie pour convertir le métal en monnaie. Exit, entre autres, la sous-assiette en métal qui se trouvait devant chacun des convives tout au long du repas, et sur laquelle étaient servis, les uns après les autres, les mets les plus savoureux dans leurs contenants les plus précieux. Place à l’assiette de présentation en faïence***, puis en porcelaine qui connaitra un grand succès auprès des classes élevées et générera un mouvement de mode dans le domaine du luxe.

Louis XV et son influente favorite, Madame de Pompadour, inaugurent en 1740 la manufacture de Sèvres. C’est en 1768, à la suite de la découverte du premier gisement français de kaolin dans la région de Limoges, que la manufacture éponyme voit le jour et confirme au monde entier son savoir-faire artisanal en matière de porcelaine dite dure.

Les repas dans l’intimité se développent avec Louis XV qui apprécie peu les cérémonies publiques. Dès 1769, le souverain fait agrandir son appartement privé, et y ajoute la salle à manger dite “Salle Neuve” afin de mieux accueillir ses courtisans les plus proches. Cette dite “salle à manger”, privée ou publique dans un bouillon-restaurant, deviendra dans le temps et l’espace, le nouvel écrin des arts de la table.

Argenterie ou porcelaine ?

Certes, l’argenterie rappelle le luxe d’antan, la puissance, la richesse… Mais c’est bien la porcelaine qui raconte les plus belles histoires, de par ses formes, sa finesse, sa transparence, ses ornements, ses coloris. Décorative ou pratique, elle offre aux manufacturiers la possibilité de faire preuve d’une grande créativité de conception.

Souvent personnalisée au restaurant, la porcelaine conte l’histoire du lieu. Avec élégance et finesse, elle transmet sa préciosité aux convives attablés. Pratique, elle est accordée au mets proposé, afin de créer une parfaite harmonie entre le contenant et le contenu.

Au Plaza Athénée, je me rappelle l’une de nos contraintes pour présenter aux hôtes nos macarons : comment en prendre un, sans faire tomber les autres ? Il m’était alors venu à l’idée de créer une “gouttière” à macarons. Une fois le croquis réalisé, J.L Coquet et Jaune de Chrome avaient concretisé l’objet en porcelaine. Cela m’avait de nouveau convaincu du devoir de garder le lien entre le professionnel et l’artisan, entre une problématique et sa résolution.

De nos jours, l’art de “casser les codes” est tendance : il n’est pas rare de trouver dans un restaurant dit conceptuel une porcelaine de table très traditionnelle, voire vintage ou historique. A l’inverse, dans des lieux de restauration dit classiques, on peut retrouver des porcelaines dépareillées, de formes et de coloris modernes, voire des prototypes avant-gardistes.

Quoi qu’il en soit, le steward du restaurant, préposé à la gestion et à l’entretien des matériaux, préférera toujours une porcelaine à une argenterie. Car avoir une argenterie parfaite est une course contre le temps, l’oxydation, les rayures, le bosselage. Tandis que la porcelaine, même si dans certaines de nos institutions elle doit se laver à la main, une fois qu’elle est ébréchée, elle est cassée. Le steward doit aussi savoir rester attentif au moment des réassorts de la vaisselle, car les fins de série et de gamme sont fréquentes.

Au regard de l’évolution comportementale des jeunes générations, adeptes de la street food, des dark kitchen, du take-away, du manger debout avec les doigts, de la vaisselle jetable… dans quelques années, pourra-t-on toujours dire à nos enfants : « Il est l’heure de passer à table » ? D’ailleurs, cette dernière sera-t-elle toujours présente et dressée dans la “salle à manger ?


* « China » est la traduction anglaise pour « porcelaine ».

** Problème de masse monétaire.

*** Céramique poreuse recouverte d’une glaçure d’étain ou de plomb. 

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