Dossier

L'inévitable besoin d'évolution dans notre rapport à l'hôte...

05 decembre 2020
Par : Denis Courtiade

Dans cette crise de la covid-19, quels sont les nouveaux enjeux pour les arts de la table ?

Le contexte présent impose des mesures drastiques qui sont de véritables contraintes pour les restaurateurs. Si nous ne sommes pas maîtres de cette situation extérieure, nous sommes responsables de la façon dont nous y faisons face. Ce brutal changement social nous a fait prendre conscience du devoir de transformation de nos métiers de l’accueil et du service. 

Sécuriser, afin d’être sécurisant ! 

La sécurité sanitaire est l’affaire de tous. Dans cette situation inédite, il n’est plus question de hiérarchie, d’ancienneté ou de qualification mais de bon sens. Ensemble, nous sommes tous coresponsables de l’application des gestes barrières et du strict respect de la distanciation pour nous-mêmes, nos collaborateurs et nos clients. Des équipements de protection adaptés, des modes opératoires révisés, un plan de formation repensé : la reprise des activités ne peut se faire que dans des conditions totalement sécurisées sous peine de comptabiliser de l’absentéisme, des cas de contamination ou, pire, la fermeture administrative de l’établissement.

 Comment saisir les opportunités ?

 Les enjeux de cette crise de la covid-19 sont multiples. Chaque entreprise devrait pouvoir se faire accompagner par un organisme professionnel via des certifications fondées sur la conformité d’un service ou d’un résultat par rapport à des exigences. Nous avons donc décidé cet accompagnement via des audits réguliers diligentés par une société spécialisée. Il nous a fallu consigner le nouveau “parcours client”, créer le “parcours employé” (son travail, ses interactions avec ses collègues) dans le temps et dans l’espace.

Epuration et protection

 Il nous a fallu définir puis respecter le nombre de personnes présentes en même temps dans une salle de restaurant (clients et employés confondus). Retirer, condamner, repositionner certaines des tables ainsi que les sièges. Imposer l’usage unique du molleton et de la sous-nappe tout comme l’étaient déjà la nappe, le napperon et la serviette de table. Disposer une mise en place sur la table la plus épurée possible : un verre à eau et une assiette de présentation. Réduire au plus simple la décoration florale afin de contrôler la traçabilité et le H24 des livraisons du fleuriste. Bannir les ustensiles à usage collectif : salière, moulin à poivre, huilier, kit à steak tartare, panière, sucrier, etc. Proposer une carte en papier à usage unique, créer un accès QR code en plexiglass élégant, programmer notre carte des vins sur tablette. Retracer les itinéraires, les flux et les cheminements, de l’accueil, du service et de la cuisine. Individualiser les services apportés à la table des clients, et proscrire les mets à partager. Nous avons dû individualiser l’utilisation des couverts ou plateaux de services pour chacun de nos collaborateurs. Couvrir les denrées envoyées de la cuisine vers la salle, jusqu’à clocher les desserts. Coiffer avec un voile de mousseline semi-transparente les chariots de service à pains, à fromages, à infusions fraîches… 

L’interaction avec nos hôtes 

Dès l’accueil, entre les clients masqués et l’hôtesse munie d’une visière, la relation est tendue et la communication complexe. Entre incompréhension phonique et physionomie occultée, plus personne ne se touche et tout le monde garde ses distances. Poignée de main, accolade, embrassade, reviendront-ils plus tard ou non ? C’est un véritable choc et changement culturel ! Nos clients les plus âgés, dits à risque, bénéficient d’un accompagnement sur mesure. Je lis souvent : « Votre sourire se perçoit sous votre masque. » Cette nouvelle deuxième peau en tissus, parfois uniformisée et dotée d’un logo, que nous portons toute la durée d’un service. Sous ce masque, c’est l’horreur : frottements, impression de manger des fibres, humidité, chaleur et odeurs, sensation d’étouffement... Ce masque nous oblige à parler plus fort au risque de ne pas être entendu ou d’être mal compris. Avec notre visage masqué, notre personnalité est étouffée. Certains de nos clients ont pour nous de la compassion, mais d’autres font preuve d’agacement. Notre charge empathique n’a jamais été à un tel niveau d’émotion. Les yeux sont devenus de formidables marqueurs dans cette nouvelle relation client. Nous restons convaincus qu’en faisant du bien à nos hôtes, nous faisons du bien à nous-mêmes. Ce constat amer ne remet aucunement notre devoir de garder ce masque sur notre visage autant qu’il se doit, afin de gagner le combat sanitaire engagé.

Rituels et Gestuels 

Nous avons fait évoluer nos séquences de service et nous avons mis en place de nombreux protocoles sanitaires. Nous avons installé en évidence de jolis flacons de gel hydro-alcoolique. Disposés sur chacune des consoles des chefs de rang, nous avons développé une chorégraphie de la main qui répond à nos nombreux gestes de service. Assiettes, couverts ou verres sont posés ou débarrassés de la table du client après que le chef de rang a frictionné ses mains au gel, et ce, dans un ordre et un sens précis. Les préparations en salle se font dorénavant gantées : nous avons banni l’utilisation des gants en tissu blanc pour les remplacer par d’autres en nitrile noir, opaques et jetables. Tout cela est contraignant, car nous devons nous réapproprier de nouvelles routines de travail et ne plus réagir par réflexe ou par instinct : que faire quand un client me tend son smartphone pour se faire prendre en photo ou me demande mon stylo pour écrire ? Dans un monde où les bouleversements sont de plus en plus fréquents et radicaux, notre industrie doit évoluer. Pour cela, nous avons étendu notre devoir de recherche auprès de jeunes apprenants dans les écoles hôtelières en les encourageant à réfléchir à leur futur métier, et surtout au futur de leur métier ! 

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