Dossier

"Plus qu’un goût, j’essaie de faire passer un sentiment"

10 septembre 2018
Par : Sophie KOMAROFF

Après le Meurice et le Grand Restaurant, Nina Métayer officie désormais en tant que chef pâtissier au Café Pouchkine. De nombreuses fois distinguée, elle continue d’œuvrer en conjuguant modestie, authenticité et fraîcheur. Rencontre avec une virtuose des plaisirs sucrés.

Offrir International : Qu’est-ce qui vous a amenée à la pâtisserie ?

Nina Métayer : Chez moi, j’ai toujours préparé des gâteaux, non par gourmandise mais afin de faire plaisir aux autres. 

Après mon bac, je me suis orientée vers la boulangerie, en formation en alternance chez Paillat, à La Rochelle. 

J’étais alors impressionnée en voyant les gâteaux sortir de la pâtisserie. C’est en m’installant à Paris que mon parcours a évolué, car je n’y ai pas trouvé de poste correspondant à ce que je connaissais, à savoir une boulangerie travaillant “à l’ancienne”, de façon artisanale avec un four à bois. 

Je me suis donc tournée vers la viennoiserie, puis j’ai intégré l’école Ferrandi pour un CAP en pâtisserie et démarré au Meurice, alors dirigé par Yannick Alléno.


Quel est votre approche de l’art pâtissier ?

Plus qu’un goût, j’essaie toujours de faire passer un sentiment, de susciter une émotion. Je travaille sur la ligne directrice d’un sentiment, avec un côté régressif et gourmand. Je ne m’impose pas vraiment de règles, je travaille de préférence en suivant mon instinct. Il importe d’écouter les gens, de les interroger sur ce qu’ils aiment déguster, leurs gâteaux préférés et de comprendre pourquoi. 

Aujourd’hui, au café Pouchkine, je présente mon travail dans un bel endroit que j’ai toujours admiré. J’ai toujours apprécié le côté gourmand et élégant de leurs gâteaux. Ce lieu me parle d’autant plus que ma grand-mère est d’origine russe.


Quelles sont vos orientations en matière de présentation ?

Tout dépend du dessert, mais en général, la forme naît de l’idée que je veux donner, le gâteau prend forme de lui-même. Ce n’est cependant pas toujours le cas. Pour la Matriochka, inspirée directement de la poupée gigogne russe, je suis partie de la forme : au chef d’être malin et de mettre au point la bonne texture, avec le bon goût. De même pour la Pavlova, à laquelle je souhaitais donner l’aspect d’un tutu de danseuse, avec un effet visuel qui devait se retrouver sur le plan gustatif.

L’objectif est que le convive ne se rende pas compte du travail qu’il y a en amont : la pâtisserie n’est que de la gourmandise et du plaisir, le dessert n’étant pas forcément nécessaire sur le plan nutritionnel. Cela laisse un champ immense pour s’amuser !

L’important est que la présentation soit reliée au goût du dessert : on peut surprendre mais occasionnellement, en apportant un goût inattendu par rapport à la présentation. Par exemple, quand je réalise un gâteau à la pêche, il faut qu’on voie ou ressente le fruit, par son aspect ou sa texture. C’est important pour la vente en boutique, tandis qu’en restauration il est davantage possible de jouer la surprise !


Quels sont les ingrédients ou les saveurs que vous aimez travailler ?

Même si j’adore les desserts à base de fruits de saison, j’aime beaucoup travailler le chocolat parce que c’est un aliment très complexe. Cette matière est magique, offrant de nombreuses possibilités de variations, aussi bien dans la texture, que la forme, la couleur, sans oublier son immense palette aromatique.

Un autre de mes ingrédients favoris est la fleur de sel, car, comme en cuisine, elle réveille les goûts, juste avec une petite pointe, sans se faire sentir. J’aime aussi ajouter des poivres ou des épices, travailler les assaisonnements.


Quelle est votre approche concernant le service des desserts ?

Les personnes qui opèrent en salle sont essentielles, elles sont les interlocuteurs des clients. A elles de les guider, de les aider ou de les amener à faire le bon choix. Il importe qu’elles sachent ce qu’elles vendent et à qui. Je les forme et j’estime nécessaire qu’elles aient gouté à ce qui figure à la carte, afin de savoir ce qu’en cuisine, nous souhaitons transmettre comme goût et comme émotion aux convives. Je suis favorable au service au guéridon, pour que le serveur apporte sa touche personnelle avec un geste (flamber ou verser une sauce, par exemple) pour démarquer le restaurant de la boutique.


Justement, en termes d’émotion, qu’essayez-vous de susciter ?

L’émotion première est bien entendu le plaisir. Un plaisir rassurant, mais qui doit aller un peu plus loin que ce que le client peut réaliser lui-même. J’aime apporter quelque chose de pétillant, d’élégant, qui sorte de l’ordinaire.


En matière d’art de la table, quelles sont vos préférences ?

J’ai travaillé avec Jean-François Piège, qui est fan de vaisselle : il en possède une quantité importante, et il n’hésitait pas à voyager pour trouver les plus belles pièces. Le contenant est essentiel : un dessert doit être posé sur quelque chose de beau, comme en joaillerie où une pierre doit être sertie sur une belle monture. J’adore dénicher des trésors, chiner des pièces un peu exceptionnelles. Si je ne cherche pas particulièrement à me démarquer par ma cuisine, en matière d’assiettes, je ne veux pas m’équiper des mêmes que les autres établissements. J’aime les objets pour lesquels on perçoit un côté artisanal, le fait-main, un peu imparfaits, plutôt ronds et de texture lisse. Je ne suis pas attirée par les pièces très modernes.

J’aime aussi les cuillères un peu lourdes, les couverts un peu imposants qui ont de la matière. Qu’on sente le travail de l’artisan derrière. En matière de service, je considère qu’il faut laisser le choix au client, en lui proposant une cuillère, une fourchette et un couteau.


Quels sont vos ustensiles fétiches ?

Ma pince à dresser, qui est toujours dans ma poche ! Je travaille aussi beaucoup avec une palette coudée. Un bon couteau est également indispensable, pour bien couper les fruits. Je travaille avec une lame japonaise. Je possède aussi un couteau en acier carbone réalisé par un ami forgeron. J’aime beaucoup les objets artisanaux. En cuisson, j’apprécie de travailler avec les produits Mauviel, parce que l’approche de cette entreprise me parle et que leurs ustensiles sont de qualité, adaptés à tout ce que je veux faire.


Partager ce contenu