Dossier

Parcours d’achat : s'adresser à la génération Z

15 avril 2021
Par : Sophie KOMAROFF

La génération née entre 1997 et 2010 représente de réels défis pour les marques d’art de la table et culinaires pour s’adapter à ses usages et à son mode conversationnel. Comment y parvenir ? Réponses de Joséphine Ducatteau, Lauréline Chagnot et Margot Sicard, étudiantes en master 2 distribution et relation client à l’université Paris Dauphine.

Offrir International : Quels sont selon vous les enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés les retailers en matière de parcours d’achat ? 

 Joséphine Ducatteau : Le premier enjeu est la tendance de la génération Z à faire du plus avec moins : minimiser les achats et utiliser un même outil pour une multitude d’usages pour ne pas s’encombrer, dans un souci de praticité, de préservation du pouvoir d’achat et surtout d’écologie (par exemple, la bouteille de vin qui sert autant de rouleau à pâtisserie que de vase à fleurs séchées). C’est donc l’inventivité qui prévaut, avec une forte tendance à la seconde main, au troc et au partage entre pairs. A cela s’ajoute la recherche de singularité, sans pour autant entacher le pouvoir d’achat. Les jeunes générations ne se cachent pas de fréquenter les marchés aux puces ou Emmaüs : ce n’est plus honteux mais affirmé, voire dans les bonnes pratiques échangées. Cela concerne davantage la vaisselle, la décoration et le petit électroménager que les ustensiles culinaires. Via les produits, c’est une histoire, un message qui sont recherchés. Les comptes dédiés à la vente (voire à la location) de cette vaisselle vintage se multiplient (@Vaissellevintage ou @Assiettesanciennes, par exemple). Pour répondre à ce souhait d’unicité, de nouveaux acteurs, tels que Dimanche Vaisselle, émergent. La génération Z n’est pas en recherche d’articles achetés pour de nombreuses années mais d’objets qui lui parlent et dans lesquels elle se retrouve, d’une vaisselle porteuse de valeurs ; d’une histoire. Des collaborations intéressantes peuvent être instaurées avec des commerçants prêts s’y investir. De nouveaux modèles sont à penser tels que des marketplaces dédiées au troc et à la 2e main. Les réseaux traditionnels auraient avantage à s’interroger sur ce que recherchent les nouvelles générations dans les circuits de deuxième main afin de le transposer dans le parcours qu’ils proposent.

Lauréline Chagnot : La vaisselle revêt un attachement affectif assez fort : les grands distributeurs ont compris cette tendance autour de la récupération et la nécessité de proposer une histoire. Citons à cet égard l’initiative de Monoprix qui a installé un corner Selency dans son magasin de Montparnasse. Cela reproduit le côté flânerie qui permet de toucher les produits, d’imaginer… Soutenue par son côté écologique, l’appétence pour la 2e main est en croissance ; en témoigne la popularité de sites tels que Back Market auprès des jeunes.

Margot Sicard : Un réel enjeu de notoriété émerge aujourd’hui. Prenons par exemple les marques de petit électroménager : nous avons l’impression qu’elles ne s’adressent pas à nous, que leur communication ne nous touche pas. Raison pour laquelle nous avons tendance à nous tourner vers notre entourage plutôt que vers les retailers quand nous avons besoin d’un appareil. Le bouche-à-oreille guide l’envie et l’acquisition. Faute de quoi, c’est la recherche de solutions alternatives qui prévaut pour éviter d’acheter. Cela va au-delà d’une problématique de parcours d’achat : il y a en effet toujours des moyens utiles pour remplacer tel ou tel appareil ou ustensile. Les chefs l’ont d’ailleurs compris, en proposant des lives et des recettes permettant de réaliser des recettes avec ce que l’on a sous la main. C’est une cuisine moins institutionnalisée, davantage dans l’émotion. Le partage d’une passion avec une communauté, telle est la force de notre génération.


Quelles sont les enseignes ou les marques d’articles culinaires dont vous remarquez positivement ou négativement les initiatives en matière de parcours d’achat ? Qu’est-ce qui vous semble efficace ou au contraire ce qui ne l’est pas ? 

J. D. : L’enjeu consiste à comprendre la jeune génération, ses valeurs et ses codes. Il est intéressant de remarquer que des marques historiques françaises bien établies qui ciblaient auparavant des moments de vie (mariage, etc.) se réinventent en déclinant leur offre pour répondre aux nouveaux usages : communication sur le wok, ciblage des jeunes sur l’achat cadeau (via Instagram et Tik Tok), collaboration avec des chefs ou des pâtissiers (par exemple Degrenne et Philippe Conticini)… Cela permet de tisser du lien avec la génération Z et la toucher dans son quotidien.

L. C. : L’enseigne Lidl m’a marquée avec la commercialisation du robot multifonction Silvercrest, assortie d’une communication ingénieuse sur les réseaux sociaux (tutoriels YouTube, partenariats avec des influenceurs Instagram) : l’appareil est sur un positionnement prix abordable pour les jeunes et la marque raconte une histoire sur la façon d’utiliser le robot. Le recours aux réseaux sociaux avec des jeux concours à outrance et des influenceurs qui rassemblent une importante communauté mais sans avoir les mêmes valeurs qu’une entreprise ne contribuent pas en revanche à la construction d’une image de marque positive ni à légitimer son discours.

M. S. : La plupart des marques culinaires n’ont pas forcément d’identité, hormis le prix. Le consommateur se révèle souvent incapable de faire différence entre une poêle de marque et une autre de marque de distributeur. La signalétique est insuffisamment claire si bien que le consommateur s’y perd et ne sais plus que choisir. Le prix et le bouche-à-oreille sont les seuls indicateurs pour juger, face à une offre illisible en termes de communication et de caractéristiques produit. La pédagogie est à accentuer sur les promesses produits, et le ou les usages qu’il est possible d’en faire.

Quels sont selon vous les canaux à activer pour s’adresser à la génération Z et leur proposer un parcours d’achat efficace ? 

J. D. : Pour que la marque émerge, il est essentiel qu’elle soit incarnée par les ambassadeurs de la jeunesse. Cela permet l’humanisation et la création d’un lien, non pas pratique, technique ou marchand mais émotionnel avec la cible. Cela génère le call to action ou la “petite étincelle” qui fera qu’il y aura une préférence pour la marque. Sur le canal d’achat, il convient de fluidifier le parcours au maximum pour répondre à l’attente de praticité et d’instantanéité, voire une forme d’impatience chez la génération Z : limiter les irritants et être présent là où cette cible évolue, tant sur les canaux digitaux que physiques. Cette dernière n’est pas forcément fidèle dans le temps d’où la nécessité pour la marque de se réinventer et de générer de l’émotion. La fidélisation représente un travail de longue haleine avec la génération Z qui cherche à tester différentes choses ou une découverte à chaque fois, contrairement à la génération précédente. Chercher à la séduire de manière artificielle, en perdant en authenticité, est rédhibitoire. La foison de jeux concours sur les réseaux sociaux et de partenariats ne génère pas l’envie d’acheter parce que cela ne crée pas d’attache avec la marque. Il est préférable de choisir un ou deux influenceurs et de collaborer avec eux sur le long terme. Transparence, singularité et authenticité sont clés.

L. C. : Pour être efficace, la communication ne doit pas être trop invasive. La multiplication des partenariats peut être contreproductive, car elle induit une perte de légitimité. Le test produit se révèle pour sa part bénéfique.

M. S. : La sincérité dans l’approche et l’authenticité sont essentielles, ainsi que la notion de proximité. Le parcours d’achat doit être omnicanal, coller aux déplacements des jeunes consommateurs dans leurs parcours quotidiens, et à la façon dont ils dépensent en magasin. La notion de commerce visqueux est en cela cruciale. Le partage multigénérationnel est également apprécié, avec la création d’espaces où l’on aime se rendre avec un parent ou un grand-parent, et partager une expérience telle qu’un cours de cuisine ou une démonstration.

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