Dossier

Linge de table : un voile d'incertitude

16 février 2023

Dans un contexte international incertain, les fabricants se montrent agiles. Ils misent sur les labels, une matière renforcée, ou des changements de collections.

«La fin d’année est toujours très forte sur le linge de table, mais, comme l’an dernier, les marchés sont complexes, relève Isabelle Parmentier, responsable marketing opérationnel chez Garnier-Thiebaut. L’année s’est globalement bien déroulée pour la marque présente dans 80 pays, malgré la hausse des coûts de l’énergie, après une pénurie de coton en 2021 et des difficultés de recrutement. 

Nappe enduite Voyage iconique chez Le Jacquard Français. « Nous sommes portés par le made in France et la recherche de produits durables », fait valoir Béatrice Brandt (directrice générale).

« Notre analyse est que nous nous en sortons bien car nous misons sur la création, avec 15 nouveaux modèles par collection », commente Isabelle Parmentier. Les pourcentages à l’export, assez stables, se répartissent quant à eux différemment : « Nous avons réalisé une bonne année 2022 avec les États-Unis, mais dans les pays de l’Est, où nous étions forts, nous avons été quasi-absents. L’Asie se développe bien. » La clientèle étrangère est en effet essentielle pour la filière. Un atout dans un contexte où la clientèle locale a limité ses achats par rapport à l’année dernière – 2021 a été une très belle année pour le linge de table et d’office. Les consommateurs, équipés en 2021, ne rachètent pas forcément l’année suivante. 

Garnier-Thiebaut offre une grande diversité de choix en s’appuyant sur ses propres forces créatives grâce à un bureau de style exclusif qui détecte les tendances et les décline chaque saison avec sa propre palette de coloris fabriqués en interne dans les Vosges. Ici, nappe Grace Perle.

« Le linge de table est en relation directe avec l’art de vivre à la française et la convivialité, appréciés à l’étranger, nous vendons beaucoup à l’international », souligne Cécile Artis, chef de marque chez Alexandre Turpault. Le Jacquard Français, qui vend aussi beaucoup aux touristes étrangers, a réalisé une année globalement positive : « 2022 est revenue aux chiffres de 2019, avec même une légère croissance », se réjouit Béatrice Brandt, sa directrice générale, par ailleurs nommée, en janvier dernier, à la présidence de la commission export de l’Union des industries textiles (UIT). 


LES LABELS : UN ATOUT

 Pour s’exporter, la marque Harmony s’est muée en Haomy. « L’export est passé de 17 % à 28 %, annonce Lionel Dubos, son président. Nous travaillons pour atteindre 45 %. » Pour ce faire, la société a recruté des commerciaux aux Pays-Bas et participe aux salons de New York et Las Vegas. Elle a également demandé la labellisation Made in green. « Pour l’export, la griffe Made in green est un plus, souligne Lionel Dubos. Nous voulons que 98 % de nos gammes soient labellisées, pas dans le bio, mais sur tout ce qui va dans le sens de la qualité ». Isabelle Parmentier mise également sur les labels, hors bio : « Le coton bio ne provoque pas un engouement particulier : si un motif fonctionne bien, peu importe que le tissu soit bio… En revanche, l’intérêt des clients se développe sur des labels tels que Vosges terre textile et France terre textile, et le label Entreprise du patrimoine vivant, que nous venons de renouveler ». Chez Haomy, le lin est Europeen Flax : « Nous n’utilisons que ce lin-là, nous certifions l’origine grâce à la Confédération européenne du lin et du chanvre (CELC) qui délivre ce label, qui sera de plus en plus connu. »

« Aujourd’hui, les ventes de petits produits, type sets de table, décollent plus que la nappe, car ce sont des petits budgets », observe Lionel Dubos, président de Haomy. La marque, qui a ajouté le voile de coton il y a 5 ans, propose des finitions brodées “naturel” ou avec des liserés noirs : « Nous retrouvons les petits motifs. La matière lin ou voile de coton reste chic et fine. » Ici, les sets Vezzani. 

« Le mix produit évolue, avec davantage de sets de table et moins de nappes, mais cela se compense en termes de chiffre d’affaires. » Béatrice Brandt (Le Jacquard Français)

LA NAPPE : UN PRODUIT “DÉCO” ET DURABLE

 Frederik Leriche, PDG de Calitex qui a racheté la marque Nydel en 2017, repère une tendance : « Avant, la nappe était en lin, lourde, dédiée au repas de famille du dimanche. Aujourd’hui, c’est une décoration d’intérieure. Elle est passée de protection à décoration. » En boutique, cela se traduit par la nécessité de donner envie au client qui va l’acheter par coup de cœur : « Il ressort bien de nos enquêtes consommateurs que la cliente achète d’abord parce que le dessin est sympa. Ensuite, elle touche le produit, pour voir si c’est du polyester et, globalement, elle ne connait pas le prix d’une nappe. » Autre constat du dirigeant : « Les consommateurs ne sachant plus entretenir une nappe, ils préfèrent une enduction antitache à un coton traditionnel. Ils évitent également de devoir repasser. La tendance est à un produit facile. » 

L’essence d’Alto Duo : l’alliance du design et du savoir-faire, et des motifs placés. « Tout est fabriqué sur un métier à tisser lin/coton, explique Paloma Morand-Monteil, cofondatrice. Avec une impression textile qui permet des motifs pétillants et une finesse dans le détail qui offre de varier les décors. »

L’entretien du textile est en effet un sujet d’interrogation. « Dans les foires aux questions, les clients nous demandent aujourd’hui si le produit se lave et comment, alors qu’auparavant, ils voulaient savoir où il était fabriqué », relate ainsi Cécile Artis. Et d’insister : « Le lin est notre ADN. Nous nous appuyons sur notre savoir-faire. Le nôtre, tissé dans les Vosges et teint dans le Nord, s’améliore, nous l’avons renforcé. Nos produits durent et à l’avenir, ce sera encore plus important. » 

UNE OFFRE ADAPTÉE

 La clientèle des marques positionnées premium est moins impactée par la crise. « Nous sommes portés par le made in France et la recherche de produits durables », constate Béatrice Brandt (Le Jacquard Français) qui dresse un bilan 2022 plutôt positif, même s’il a fallu s’adapter à toutes les situations. « Nous avons augmenté nos tarifs en 2022 (du fait de la crise énergétique et la hausse des matières premières), ainsi que les salaires. »



ALTO DUO, JEUNE MARQUE “DÉCO”

Alto Duo, créée en 2021 par Paloma Morand Monteil et son frère, est positionnée sur le marché de la décoration intérieure. Elle s’est lancée avec le mobilier en bois et propose des produits autour de la table (nappes, serviettes, sets de table et essuie-mains). Les deux designers proposent des produits reposant sur la créativité et l’imaginaire, et sur deux savoir-faire pour le moment : la menuiserie et le textile. Les cofondateurs font le tour de France des savoir-faire pour diversifier leur offre, s’appuyant sur le fait que la clientèle internationale est férue de made in France. « Pour le textile, nous avons choisi les Vosges, car c’est le cœur du textile », souligne Paloma Morand-Monteil. La marque a commencé sa commercialisation avec le digital – via son site et l’e-commerce –, et en boutique, au musée du Centre Pompidou, et projette de se développer en physique. « Nous ouvrons notre réseau de boutiques distributeur en 2023, un à Paris à la rentrée, annonce la fondatrice. Nous aurons la chance d'être représentés en exclusivité au Bon Marché. Notre stratégie de développement est de déléguer à des boutiques spécialisées dans l’art de la table. Il faut expliquer la marque pour conquérir ces acteurs, qui ont parfois peur de se placer sur une nouvelle marque. »

 

Tissus Toselli qui fête ses 90 ans en 2023, a réalisé 68 % de son chiffre d’affaires à l’export l’an passé, en particulier aux Etats-Unis où le linge de maison provençal tissé français est apprécié. « Nous sommes peu en France à créer des collections en jacquard 35 fils. Nous l’utilisons pour des pièces décoratives telles que les housses de coussin, les chemins de table et les plaids. Ces produits de qualité, tissés en France, sont de plus en plus appréciés et sélectionnés par notre clientèle. C›est une tendance que nous souhaitons accompagner en développant cette catégorie de notre catalogue produits », indique la marque. Ici, la collection Sunflower en jacquard 35 fils.

En tant que fabricant, la marque se réjouit d’avoir assuré l’approvisionnement : « Nous avons eu zéro rupture, nos clients nous félicitent. Nous avions anticipé les départs à la retraite, quitte à avoir des doublons pendant les formations, tandis que d’autres sociétés manquaient de main-d’œuvre ». Le prix continuent d’exploser : dans le segment du linge de maison, certains pourront suivre, d’autres non. Avec une fibre de départ qui peut avoisiner 1,2 € pour 1 kg de coton quand 1 kg de lin coûte 4,5 €, Lionel Dubos présage un décrochage de la grande distribution, qui va sur le produit cher, mais le propose en moins onéreux : « Les marques resteront sur les produits nobles comme le lin, qui est thermorégulateur, consomme peu d’eau, et est très “RSE”, tandis que les GSS et la grande distribution seront davantage sur le coton. » 


DES GAMMES RENOUVELÉES

 Nombre de fabricants relèvent une augmentation des ventes de sets de table, à moindre budget, mais une baisse de celles de nappes. Si Alexandre Turpault vend énormément de serviettes et de sets, la marque déclare connaitre aussi une hausse des ventes de nappes. Les tête-à tête en revanche, diminuent. 

« La marque Nydel est particulièrement reconnue pour l’enduction acrylique, pour des produits très techniques que peu de fabricants savent réaliser », explique Frederik Leriche, PDG de Calitex. Ici, nappe en jacquard polyester avec enduction acrylique Jardin d’été fuchsia (100% polyester traité antitache, déperlant, enduction acrylique, 220g/m2 ). Prix public à partir de partir de 80 € (160 x 160 cm).

« Depuis 2 ans, les gammes labellisées enregistrent une augmentation des rotations de 25% ». Lionel Dubos (Haomy)

« Nous sommes vraiment en train de vendre les produits chers », résume Cécile Artis. Alexandre Turpault propose des gammes d’unis et des nappes de fête. « Ce ne sont pas des nappes du quotidien, souligne la chef de marque qui relève une augmentation des standards : « Pendant longtemps, nous avons vendu beaucoup de 180 x 180 cm, maintenant, c’est plutôt 2,5 m, et de plus en plus souvent plus de 3 m. » Le contexte interroge cependant sur la suite. « Nous avons bien vendu cette saison. Nous verrons en février si les produits ont été livrés, note Frédérik Leriche, plus pessimiste sur l’environnement international – avec le conflit en Ukraine, le covid-19 et l’instabilité qui paralyse tout le monde. 

Tissage Moutet est un des deux derniers tisseurs de linge basque qui est aujourd’hui protégé par une indication géographique qui garantit aux consommateurs et aux clients l’achat d’un produit authentique

Les coûts des matières premières et la guerre entrainent en effet de nombreuses incertitudes. Avec des métiers à tisser et des teintures qui utilisent respectivement de l’électricité et du gaz, l’évolution du prix de l’énergie impacte fortement le marché du linge de table. Nombre de consommateurs auront du mal à accepter des hausses trop fortes, surtout s’ils ont l’historique… « Cela pousse à opérer des changements radicaux de collections, conclut Lionel Dubos. À un moment, la question est : “Préférez-vous augmenter les prix de 40 % ou continuer à vendre ?” A nous de renouveler les gammes de façon professionnelle ! » 

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