Dossier

Le jour d'après

14 février 2022
Par : Denis Courtiade

La crise inattendue : notre industrie vient de subir un véritable coup d’arrêt. Cette pandémie de covid-19 apparue le 16 novembre 2019 en Chine centrale est certainement l’épreuve la plus bouleversante que nous ayons dû appréhender.

De longs mois anxiogènes se sont écoulés depuis le début de la propagation de cette maladie. Vivre enfermé des semaines durant nous a fait comprendre ce qui nous a manqué le plus : de ne pas recevoir notre famille et nos amis. Le temps du confinement a été aussi un temps de réflexion pour les métiers de la restauration et ses acteurs. Il nous parait évident aujourd’hui de remettre en perspective nos modèles économiques, notre rapport au travail et à nous-mêmes. Les entrepreneurs qui ont su garder leur sang-froid dans les premiers mois de la crise, ont dû se résoudre par la suite à prendre des décisions drastiques afin de ne pas mettre la clef sous la porte. De chaque crise doit naître une opportunité. Il est intéressant de noter que le mot “crise” vient du grec krisis qui signifie « décision ».
Une crise est un moment de changement où il est utile de prendre des décisions pour saisir de nouvelles opportunités. C’est ce que les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration ont entrepris ces derniers temps.


L’ÉTERNEL RECOMMENCEMENT

Dans les années 1970, les Français ont pour habitude de recevoir chez eux pour l’apéritif avant de sortir dîner. Dans les années 1980, ils privilégient les repas à l’extérieur ; puis se replient à la maison dans les années 1990, et ce, avant de ressortir au restaurant dans les années 2000. En 2020, avec les confinements, les Français se résignent à ouvrir leurs placards et leurs tiroirs afin de redécouvrir leurs arts de la table sans autre option que de passer en cuisine ou de se faire livrer leur repas. 2022 devrait être l’année de la gastronomie et du retour du repas pris en commun hors domicile. A la table du Plaza Athénée où j’officie, j’ai entrepris des transformations de fond tendant à plus de simplicité dans l’exécution des processus de service. J’ai éliminé les séquences trop intrusives dans ce que nous appelons la “bulle client”. J’ai arrêté de faire par habitude, par routine ou par croyance ce que nous pensions être des actes de haute gastronomie. J’en suis convaincu : nous sommes trop à l’étroit ; nous sommes allés trop loin. Le contexte du covid-19 nous oblige à réfléchir différemment. Le moment est venu de “détricoter” maille après maille ce que nous avons construit. Et ce que la concurrence nous a copié. Fallait-il vraiment proposer 6 variétés d’expresso ? Fallait-il sincèrement suggérer de l’eau minérale : tempérée, fraiche ou bien glacée ? Fallait-il obligatoirement changer trois fois la serviette de table pendant le repas ? …


CRÉER DE NOUVELLES ÉNERGIES

Nous avons l’évident devoir de tout repenser avec beaucoup plus de simplicité, sans être simpliste. Posons-nous les bonnes questions quand nous sommes à la table de nos hôtes : est-ce que nos interactions, nos gestes et nos actions de service ne sont pas trop intrusifs ? Le service d’aujourd’hui ne doit pas être un simple spectacle, mais il se doit, dans une apparente fausse simplicité, de devenir spectaculaire. Veiller à une parfaite alchimie du bon goût et du bon sens entre le décor et ses dorures, les uniformes et ses plissés, la chorégraphie et ses flux, le ballet et son harmonie, le casting et sa diversité. Incarner une ambiance de travail et insuffler une grande complicité. Mettre au goût du jour les illustres plats argentés pour retrouver ce luxe d’antan. Ressortir de nos réserves les cuivres pâtissiers pour inviter à la gourmandise. Oser les rafraichissoirs en coquillage nacré pour le service de breuvages millésimés…


ARTS SUR LA TABLE

Remettons en scène les arts de la table dits classiques : le beurrier traditionnel avec sa cloche en argent accompagné de son socle en marbre blanc, la corbeille à pains et son coussin satiné, le symbolique couteau à poisson disparu de nos tables étoilées, la flamboyante assiette de présentation partout remplacée par un objet sculptural, les inséparables moulins argentés offrant à discrétion le poivre et le sel, la magnifique presse à canard qui reprend du service. Que le verre à eau retrouve son pied d’origine, et ne soit plus appelé “gobelet”.


 PATRIMOINE ET ART DE VIVRE

Notre industrie postcovid opère actuellement sa douce transition. Les touristes étrangers n’étant toujours pas présents en nombre sur notre territoire, et la concurrence étant sans cesse effrénée, beaucoup de restaurateurs ont décidé que le moment était opportun de donner une nouvelle orientation à leur offre commerciale.
 Pour se diversifier et recréer une dynamique, la décision est souvent la même : mettre en œuvre dans le restaurant l’opposé de ce qui était actuellement proposé. La vie étant un éternel recommencement, si le restaurant avait un style contemporain novateur, et bien, immanquablement il deviendra un lieu plus classique, plus traditionnel, et vice versa.
Vous l’aurez compris, il est très difficile de savoir si la parenthèse Covid a eu un effet particulier sur nos arts de la table actuels. Je ne le pense pas. Je préfère penser que les choix du restaurateur sont dictés dans les domaines que sont la verrerie, l’argenterie, la platerie… par un va-et-vient historique, dans les différentes époques de conception et de fabrication de nos manufactures.

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