L'heure n'est plus au Green Washing

17 janvier 2018
Par : Sophie KOMAROFF

Le développement durable et l’éthique ne sont plus seulement des effets d’image pour la filière luxe mais revêtent des enjeux stratégiques croissants. A l’origine de ces injonctions de transparence et de respect environnemental, les consommateurs, millennials en particulier. Une récente étude de Mazars, organisation d’audit et de conseil, souligne la nécessité de repenser les aspects liés à la production et d’adapter la chaîne de valeur. Explications avec Fabien Seraidarian, directeur chez Mazars.

Comment les entreprises de la filière luxe s’approprient-elles la notion de luxe éthique ? 

Les marques les plus célèbres ne peuvent aujourd’hui se dispenser d’adopter une posture sur ces questions. La durabilité englobe les éléments environnementaux, sociaux et économiques (autrement dit : la répartition équitable de la valeur créée dans cette chaîne). Les questions de l’innovation dans les matières (y compris du recyclage et de l’upcycling), l’ancrage territorial, les conditions de travail, l’exigence des consommateurs sont centrales.

Une marque qui décide de s’inscrire dans une démarche durable le fait soit parce qu’elle a identifié un marché cible, soit car son éthique propre l’y incite, soit parce que l’importance de la politique publique en la matière s’accroît. Cela étant, dans la pratique, il est difficile de mesurer si celle-ci est avérée et concrète ou non. Au cœur de cette problématique, se trouve la structuration de la chaîne de valeur, composées d’étapes, d’intervenants, de fournisseurs. Plus ceux-ci sont nombreux, plus il est difficile de mesurer la prise en compte de ces enjeux. 


Comment cela se traduit-il ? 

En termes de stratégie, c’est notamment sur les questions éthiques que les enjeux pèsent. Si le bien-fondé de certains objectifs, tels que la diminution de la consommation d’eau, est indiscutable, les questions d’éthique, elles, consistent à effectuer un choix nécessaire dont on ignore s’il est bon ou non. 

Prenons par exemple la question de la fourrure : que choisir entre des fourrures animales assujetties à une traçabilité et qui pourront être portées longtemps, et celles synthétiques fabriquées à partir de processus chimiques et à la durée de vie moindre ? Il n’y a pas de réponse meilleure que l’autre. C’est la dimension dans laquelle ce choix tranché s’inscrit qui crée de la valeur : Stella McCartney a pour sa part opté pour les cuirs bioplastiques (matières agro-sourcées). On s’aperçoit donc qu’à la base de tout cela, la solution technologique est prépondérante.


Le caractère durable d’un produit motive-t-il aujourd’hui significativement l’acte d’achat ? 

C’est une question essentielle, qui pourrait se formuler ainsi : la durabilité est-elle lucrative ? En effet, plus on progresse sur la voie d’une production plus vertueuse, plus les coûts générés sont importants. Une marque qui décide de s’y engager se demande donc légitimement si cela va lui rapporter. Pour cela, il lui faut nécessairement construire son marché, à l’heure où les entreprises commencent à peine à dévoiler la manière dont elles produisent. 

L’existence d’un marché de consommateurs désireux d’acheter “sustainable” est nécessaire pour que la marque réalise un retour sur investissement, de même qu’il est incontournable que les consommateurs sachent pour quoi ils paient. L’heure n’est plus au green washing (l’orientation du discours marketing et la communication vers l’écologie, NDLR) : la durabilité n’est plus seulement un discours et les sociétés auront un certain nombre de standards à respecter si elles ne veulent pas entacher leur réputation. De nombreuses pratiques vertueuses sont évoquées mais que pèsent-elles sur le secteur aujourd’hui ? 1 % du coton seulement est biologique. On en parle beaucoup mais cela ne représente pas tant que cela !


Comment les marques ont-elles intérêt à communiquer sur leurs initiatives à caractère vertueux ? 

Pour communiquer, les marques et les fabricants ont intérêt à tisser des liens avec les consommateurs pour valoriser leurs actions en faveur de l’environnement. Mais attention, cela n’est pas forcément simple : faut-il communiquer en associant la marque et l’idée du développement durable ? Les entrepreneurs sociaux ayant fondé leur offre là-dessus le peuvent sans risque, mais c’est beaucoup plus délicat pour les maisons séculaires. A elles de trouver des moyens de valoriser ces initiatives et ces processus. 


Comment les marques et les détaillants peuvent-ils s’adapter à l’évolution vers une consommation moindre mais plus éco-socio-responsable, tout en préservant une viabilité économique ? 

Il existe une différence entre les biens d’équipement de la personne (qui sont au cœur de l’étude) et ceux de la maison. L’achat des premiers répond plus souvent à une impulsion tandis qu’en décoration ou équipement du foyer, les achats sont moins fréquents. En outre, cette catégorie de produits revêt une dimension plus “industrielle” et ne peut faire preuve de la même vélocité dans cette transition. Pour ces raisons, la durabilité, qui fera certes son chemin dans cet univers, s’y instaurera probablement plus lentement, en décalage. Autre phénomène à comprendre : le fonctionnement de la chaîne de valeur. Dans le secteur des biens d’équipement de la maison, les coûts fixes sont globalement plus élevés à la base que pour les biens d’équipement de la personne. Un vêtement qui se vend mal coûte certes un peu à l’entreprise qui le produit, mais pas tant que cela. Les coûts sont autrement plus importants pour le lancement d’un ustensile de cuisson ou d’un appareil électroménager, par exemple. 

Dans le domaine de l’art de vivre, la durabilité est un virage complexe à négocier, et impliquera l’introduction de nouvelles matières pour innover. S’emparer de cette question bouscule tous les maillons de la production, dont les savoir-faire, qui sont parfois muséifiés. Plutôt que de perpétuer ces processus à l’identique, ils seront à faire évoluer, avec de nouvelles technologies. L’importance des efforts en termes d’innovation et de R&D se révélera déterminante. 

Le fait que certaines marques de luxe investissent d’ores et déjà sur ces postes est d’ailleurs significatif. Par ailleurs, en matière de consommation, deux attitudes différentes sont notées : la durabilité (autrement dit : mets-je en péril la planète en réalisant cet achat ?) d’une part, la décroissance d’autre part. C’est vraiment au niveau du consommateur que cela se joue. Pour que la distribution n’en pâtisse pas et entrer dans ces paradigmes-là, la notion de service est incontournable avec par exemple, pour les produits d’art de vivre, la remise à neuf des articles, la réargenture des couverts, le rechapage, le réémaillage, l’affûtage, etc. 


Les consommateurs sont-ils sensibles à ces enjeux selon vous ? 

Le champ de la durabilité s’étend à différents domaines, avec des effets divers. Concernant le luxe, un effet de traction de ces enjeux est observé, en particulier grâce aux Millennials, plus éduqués sur ces points que les générations précédentes. Ceux-ci sont intéressants à mobiliser sur ce sujet : en effet, c’est par le marché que les entreprises se saisiront de ces enjeux, sans tomber dans l’écueil du compassionnel. Les marques de luxe citées dans l’étude s’adressent d’ailleurs davantage aux Millennials. 


L’évolution est donc balbutiante, mais bel et bien enclenchée… 

Certaines marques sont pour l’heure en porte-à-faux. Le sujet est effectivement segmentant : les Millennials, qui représentent un tiers de la clientèle de la filière luxe, sont acquis à la cause. Les générations précédentes sont certes parvenues à une prise de conscience, mais dans les faits continuent à ne rien changer à leur consommation. 

Sur le sujet de la durabilité, tout est à construire. Le point positif est qu’il est possible d’agir pour une production et une consommation plus vertueuses. L’enjeu est stratégique, et ce choix de la durabilité sera de plus en plus payant selon que le consommateur sera éduqué. 

Sur le sujet, il convient d’ailleurs de remarquer que l’Etat est assez absent, excepté par le biais fiscal, et que le monde politique se révèle assez inaudible. Il manque une véritable impulsion politique pour que ce rythme de transition soit plus soutenu. 

Repères 

Intitulée « Vers un nouveau luxe, éthique et création de valeur », l’étude réalisée par Mazars en 2017 dresse un état des lieux des initiatives attestant du dynamisme et de l’engagement de la filière luxe en matière de durabilité, d’équité, d’éthique :


Pour lire la suite, abonnez-vous ou achetez le dossier :
Partager ce contenu