À une époque où l'art de la table allie exigence esthétique, responsabilité environnementale et mode
Dossier
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Histoires à table : quand le récit devient moteur d’engagement
Multiplication des canaux de communication oblige, les marques ne doivent plus seulement innover dans la conception de leurs produits, mais aussi dans la manière d’embarquer leur écosystème autour d’un récit commun. Peugeot Saveurs, La Rochère, Arcos ou encore Hoptimist en font la démonstration : entre héritage manufacturier, valeurs partagées et leviers technologiques, le storytelling s’impose comme un vecteur de séduction et de fidélisation.
Personne ne le conteste : avant de séduire, une marque doit d’abord savoir raconter, et toucher par l’authenticité de son histoire. « Le storytelling occupe une place centrale dans notre stratégie. Il nous permet de relier notre patrimoine aux enjeux contemporains comme la durabilité et la santé, témoigne Philippe Gelb, directeur général de Beka France. Plus qu’un fil conducteur, c’est une promesse de marque. Plus que des ustensiles de cuisine, nous revendiquons des moments de plaisir, une qualité de vie et une responsabilité envers l’environnement. Dans un marché compétitif où beaucoup de produits se ressemblent, le storytelling nous aide à affirmer notre singularité, à créer de l’émotion et à instaurer une préférence durable auprès des consommateurs. »
Chez Peugeot Saveurs cette démarche ne relève pas non plus d’un simple exercice de communication. « L’authenticité n’est pas une posture, insiste Stéphanie Barthoulot, responsable communication & RSE. Nous ne prenons la parole sur la RSE ou sur l'innovation que lorsque notre démarche est aboutie, vérifiée et alignée sur nos actes. Le but n’est pas de livrer un message formaté, mais de transmettre un engagement concret. »
La marque a ainsi dévoilé cette année le mécanisme Zirlion, un broyeur en zircone un matériau presque aussi résistant que le diamant capable de moudre le sel avec une finesse inédite pour un rendu “sel glace”. Au-delà de l'innovation technique, Stéphanie Barthoulot y voit le point de départ d’un nouveau récit de marque : un sel sublimé, un savoir-faire porté par l’émotion et la responsabilité, un message qui s’adresse aussi bien au grand public qu’aux prescripteurs. « C’est un tournant. Plus qu’un objet, nous ouvrons une nouvelle expérience sensorielle, nous repensons la manière d’assaisonner, tout en restant fidèles à notre ADN artisanal. Derrière cette innovation, notre réflexion a été simple : comment aller au-delà du discours classique autour du goût, et incarner ce message d’excellence et de durabilité ? »
Pour nourrir cette narration, Peugeot Saveurs mise sur l’intelligence collective. « Nous avons réuni six experts venus d’horizons différents patrimoine, ingénierie, nutrition, formation au goût, gastronomie — pour croiser les regards et apporter de la profondeur », détaille Stéphanie Barthoulot. Une parole plurielle assumée, qui traduit une conviction : « Chaque histoire de marque doit avant tout raconter une rencontre, une émotion sincère. »
Forte de plus de 15 ans d’expertise dans le retail et fondatrice d’Another Retail, Emilie Miquelestorena partage cette vision. Selon elle, l’expression des valeurs passe par chaque détail de l'expérience ambiance, interactions humaines, dialogue entre l'objet et son usage pour incarner un univers et affirmer une singularité. « Ce qui change tout pour le client, c’est la façon dont la marque réussit à activer tous les facteurs de l'expérience, sans couture ce qu’on appelle l’excellence opérationnelle. »
Chez Hoptimist, la puissance du récit se trouve dans l’histoire fondatrice. Créée en 1968 par un designer danois qui voulait « redonner le sourire » dans une période troublée, la marque a fait des personnages à ressort son emblème. « Avec leur design iconique et leur sourire communicatif, ils transmettent chaque jour joie, partage et positivité trois valeurs cardinales qui fondent notre slogan : “Make everyday a little more joyful”. » explique Maryse Petitpas, brand activation manager chez F&H Group.
Fidèle à ses codes historiques, la marque revendique la transmission d'un optimisme intemporel. « Le contexte actuel invite à remettre de la chaleur, de la couleur et des petites sources de bonheur dans la vie quotidienne. Notre storytelling y prend tout son sens, il séduit toujours sur les salons ou en point de vente, quelle que soit la génération », ajoute Maryse Petitpas.
Dans le cas de Bracconi, le récit prend racine dans l'histoire familiale et la transmission d'un savoir-faire. « Notre marque est le fruit d’une famille de commerçants. La valeur du partage et du repas en famille n’est pas un argument marketing, c’est l'ADN. Nous n’avons pas décidé un jour de vendre des ustensiles de cuisine. Nous nous inscrivons dans une lignée, une histoire qui explique notre positionnement premium et ce rapport presque intime avec le produit », explique Mickaël Zarb, directeur commercial de Bracconi.
Fondée plusieurs générations plus tôt à Bastia, l'enseigne corse s'est imposée comme une référence dans l'univers des ustensiles de cuisine.
Et son récit continue d’alimenter la relation client : « Ils sont réceptifs à cette histoire, ils s’attachent à la continuité, à la cohérence entre ce qu’on raconte et ce qu’ils vivent en boutique. Dans la famille Bracconi, nous essayons de garder le fil du récit, notamment via des formats comme “la recette du dimanche”. Elle évoque immédiatement le partage, le repas, la transmission... Ce sont ces histoires, pas seulement les produits, qui touchent nos clients. »
Cohérence malgré la multiplication des formats et des points de contact. Tous les acteurs interrogés s’accordent à le dire : la force du storytelling moderne réside dans sa capacité à investir tous les formats et tous les supports.
Sarah Mussati, responsable communication et trade marketing chez Arcos France, voit dans le storytelling un fil conducteur omniprésent dans la narration de la marque : « Notre récit s’articule autour de quatre piliers qualité, tradition, convivialité, gastronomie déclinés sur l’ensemble de nos supports. La convivialité s'incarne jusque dans l’aménagement du showroom d’Albacete. Nous avons imaginé cet espace autour d’une grande table centrale et d’une cuisine ouverte. Objectif : placer le partage et l’art de vivre méditerranéen au cœur du récit. »
La tradition s’y exprime également par l'image : « Nous produisons des contenus vidéo filmés dans l’usine, valorisant les gestes des ouvriers ; nous mettons également en avant des pièces iconiques, à l'instar de la première paire de ciseaux créée en 1734 et exposée au musée de Madrid. »
Chez Hoptimist, cette cohérence se déploie sur tous les points de contact. « Nos valeurs s’incarnent à travers le packaging, la PLV, le mobilier à l'effigie de Bumble, mais aussi via notre compte Instagram B2B ouvert en janvier dernier, et les relais faits par les revendeurs eux-mêmes.
À l’automne, nous investirons l’espace public avec une campagne d'affichage dans le métro parisien pour surfer la tendance croissante des ventes », indique Maryse Petitpas (F&H).
La marque veille à une parfaite cohérence narrative à l’international, du Danemark à la Corée, en passant par la France et les États-Unis, conservant partout le même ton optimiste et la richesse de son héritage, « tout en adaptant chaque animation ou message éditorial au contexte local pour mieux toucher chaque public », précise-t-elle.
Chez Peugeot Saveurs, cette philosophie se traduit par une omnicanalité maîtrisée, où les contenus digitaux, les rituels en boutique et les interventions humaines racontent la même histoire tout en s'adaptant à leur contexte. La cohérence de marque ne s’y vit pas comme un cadre rigide : elle fait plutôt office de boussole. « Nous multiplions les formats courts avec nos experts — des vidéos de trois questions, des articles de blog, des présentations immersives lors d’événements presse. Chaque canal a sa tonalité. L’essentiel est de garder un fil narratif qui relie l’ensemble et qui soit immédiatement reconnaissable », souligne Stéphanie Barthoulot.
Cette exigence de cohérence narrative trouve un écho chez Émilie Miquelestorena pour qui l'efficacité du storytelling passe par l’adaptation fine des messages tout au long du parcours, notamment en boutique. « En magasin, il faut dissocier les messages portés par l’ambiance de ceux affichés ou véhiculés par les collaborateurs, et capitaliser sur les moments-clés du parcours pour transmettre l'essentiel. » Émilie Miquelestorena insiste sur la gestion de la courbe d’attention : un récit pertinent sait tirer parti des ruptures de rythme, maintenir l’intérêt et offrir des respirations sensorielles qui ancrent la mémoire du client. L'innovation s’illustre aussi dans la capacité à réinventer l’expérience client : ainsi que le souligne Émilie Miquelestorena, les enseignes les plus inspirantes créent aujourd'hui des cafés, des pop-up stores et multiplient les partenariats pour offrir des expériences immersives et émotionnelles. Cette dynamique omnicanale qui conjugue le renouvellement des formats et la cohérence de fond transforme chaque contact en levier de fidélisation.
DE NOUVEAUX TERRITOIRES ÉDITORIAUX
Chez Bracconi, la cohérence narrative passe aussi par le choix des supports. Fidèle aux valeurs de l'enseigne, Mickaël Zarb opte pour les canaux traditionnels :
« Au-delà de la formation orale de nos vendeurs, nous privilégions aussi les réseaux sociaux et surtout nos newsletters. Nous veillons toujours à relier chaque actualité ou univers à une histoire, particulièrement lorsqu’un produit porte un beau récit.
La newsletter nous permet de dépasser l'info produit pour raconter l'histoire d'une marque ou d'un article emblématique. Nous le faisons régulièrement avec la marque Cristel.
La presse locale est aussi un canal incontournable : les journalistes apprécient un récit authentique, surtout lorsqu’il s'agit d'une entreprise familiale. Selon nous, la presse locale est un moyen indispensable pour expliquer nos origines, valoriser nos racines et toucher un nouveau public à chaque ouverture de magasin. »
Pour La Rochère, la plus ancienne verrerie de France, l’adaptation de son récit à l’ère numérique s’est faite progressivement. « La marque a mis du temps à se lancer sur le digital », reconnaît Charlotte Legendre, responsable marketing digital chez La Rochère.
L'offre en ligne s'est d'abord concentrée sur le repost de contenus produits par les clients, distributeurs, influenceurs et blogueurs. Aujourd'hui, la verrerie qui fête ses 560 ans cette année crée ses propres contenus, photos, vidéos et récits éditoriaux qu’elle diffuse de manière proactive auprès de ses partenaires commerciaux, points de vente B2B, ambassadeurs de marque et influenceurs.
« Nous disposons d'une charte graphique et d'une plateforme de marque déclinables sur l'ensemble de nos marchés. Nous veillons à ajuster notre ton à chaque contexte tout en restant fidèles à nos valeurs », explique-t-elle, ajoutant que la collection Abeille, par exemple, est associée à Napoléon en France tandis qu'aux États-Unis elle évoque la Provence.
« Nous développons un packaging spécifique à chaque marché, et nos visuels adoptent une dimension différente selon la culture. L’histoire est adaptée à chaque pays mais les valeurs fondamentales restent identiques. »
Le réseau Ambiance & Styles (EK France) a récemment décidé de renforcer son storytelling de marque afin de réaffirmer ses valeurs. L’enseigne multiplie les occasions de tisser des liens affectifs et pédagogiques avec ses clients. Cela se traduit par une refonte de son identité et de sa signature (« Ensemble pour de bons moments »), ainsi que par le développement d’e-books collaboratifs. Conçus avec les fournisseurs, ces supports déplacent la communication du terrain promotionnel vers une narration fondée sur l’expertise, l’accompagnement et l’explication du produit. « Nous essayons d’être présents sur tous les canaux, même si le digital n’est pas le cœur de notre activité, indique Laurent Louis, président du réseau Ambiance & Styles. Les e-books que nous éditons mettent l’accent sur l’expertise, le conseil, l’expérience d’un matériau ou d’un produit comme l’inox ou la céramique et non sur le prix. Des idées de masterclass, sur la création d’une belle table ou le choix des verres à vin, sont également à l’étude. »
En 2025, Le Creuset a également multiplié les initiatives narratives à l’occasion de son centenaire. L’édition du livre “A Century of Colorful Cookware” avec Assouline retrace les coulisses, l’histoire, les grandes étapes du design et la diversité chromatique de la marque, tout en partageant des témoignages et des recettes iconiques. Parallèlement, à Paris, une exposition immersive a offert une plongée sensorielle dans un siècle de créations. Autant de formats destinés à fédérer sa communauté et transmettre son héritage. Loin d’être figé, le secteur des arts de la table connaît donc une importante dynamique de renouvellement portée par les attentes clients, le digital et l’agilité des enseignes.
DE'LONGHI SIGNE LE MOMENT PERFETTO
De'Longhi a dévoilé en septembre dernier sa nouvelle campagne internationale qui vise à mettre en évidence que le café est plus qu'une boisson mais un rituel. Le film met en scène Brad Pitt, sous l’objectif du scénariste néo-zélandais Taika Waititi. Intitulée Le guide du moment Perfetto, cette campagne détourne l’idée d’un mode d’emploi de l'appareil pour le transformer en expérience via la dimension contemplative de la préparation du café. Chaque plan insiste sur l’instant suspendu de la préparation d’un expresso, transformé en moment contemplatif. Il s’agit de la première collaboration entre De'Longhi et l’agence Lola MullenLowe qui imprime une tonalité cinématographique et culturelle. Diffusé à l’échelle internationale (plateformes TV, digitales et sociales), le film s'accompagne d’une campagne promotionnelle invitant les amateurs de café du monde entier « à partager leurs moments #Perfetto ».
LE CLIENT CO-AUTEUR DU RÉCIT
L'engagement du consommateur ne s’arrête plus à l'achat : il s'exprime désormais dans la cocréation de l'histoire et l'expérience vécue. « La meilleure façon d'enrichir la culture du consommateur, c'est de lui faire vivre, en direct, cet univers du goût. Dans nos ateliers sensoriels au Bon Marché, chaque participant manipule différents sels pour composer ses propres recettes », illustre Stéphanie Barthoulot (Peugeot Saveurs). À travers une palette d’animations, Peugeot Saveurs capitalise sur le participatif et fait écho à la vision d’Émilie Miquelestorena : « Le client devient acteur du récit, pas simple spectateur. » Donner son avis, relever un challenge ou partager ses créations : autant de manières pour le consommateur de prolonger et d’enrichir l'histoire de la marque à chaque étape de son parcours.
La campagne autour du sel glacé incarne cette approche : formats immersifs, ateliers pédagogiques, et valorisation des retours des clients comme des influenceurs. « Nos clients, nos détaillants, nos influenceurs deviennent les ambassadeurs du récit : ils testent le produit, se l'approprient et le restituent à travers leurs propres histoires, souligne Stéphanie Barthoulot. L'avis consommateur n'est pas accessoire : il est clé pour mesurer l'impact de nos démarches et ajuster la conversation. »
Chez Arcos France, cette logique s'illustre aussi dans le choix des relais : « Depuis plusieurs années, nous investissons un budget dédié dans des collaborations avec des influenceurs français, soigneusement sélectionnés pour leur authenticité, leur énergie positive et la qualité de leur univers culinaire et esthétique, indique Sarah Mussati. Ces personnalités incarnent parfaitement nos valeurs de convivialité et de goût pour les choses bien faites, au cœur de notre identité de marque. Notre objectif est clair : renforcer notre notoriété en France pour accompagner la dynamique de notre réseau de distribution. Au-delà de l'expérience client déjà portée par nos distributeurs, il reste essentiel, en tant que fabricant et marque, de construire une visibilité forte et cohérente à travers un storytelling qui nous ressemble et qui engage une communauté. »
LE STORYTELLING HORS ÉCRAN : MERCHANDISING, VITRINE, PACKAGING
Le récit de marque s’incarne aussi dans l’espace physique. Tous les acteurs interrogés s’accordent à dire que chaque mise en scène en boutique, chaque scénographie d’événement ou détail de packaging doit raconter une histoire sensorielle. « À la Saline Royale d’Arc-et-Senans, nous avons exposé tous nos sels sous cloche pour en faire une expérience olfactive autant que visuelle », illustre par exemple Stéphanie Barthoulot. Car chez Peugeot Saveurs, le design produit, le soin apporté au toucher des matières ou encore la personnalisation des réservoirs du moulin Maestro deviennent autant de vecteurs du récit. « La matière, la forme, le graphisme : chez nous, chaque détail participe à construire le rapport d’attachement à l’objet, autant qu’à la marque », résume-t-elle. Cette attention s'appuie aussi sur l'engagement : la majorité des produits sont fabriqués en bois PEFC local : une traduction concrète des valeurs de durabilité et de lutte contre le jetable.
ZWIESEL FORTESSA : UNE NOUVELLE HISTOIRE D’ART DE LA TABLE
En septembre 2025, Zwiesel Kristallglas AG est devenu Zwiesel Fortessa AG, un nom qui scelle l’union entre le verrier allemand et son partenaire américain intégré depuis 2022. Outre sa dimension visuelle, ce changement vise à raconter la rencontre entre 150 ans de tradition verrière et plus de 30 ans d’expertise de la table aux États-Unis, proposant un récit qui présente la table comme un lieu de convivialité et de créativité dépassant la somme des éléments qui la composent.
L'enrichissement du portefeuille du groupe Zwiesel Glas, Schott Zwiesel, Fortessa et, en octobre 2025, Eisch illustre cette ouverture. En fédérant ces marques, le groupe entend écrire une histoire globale (héritage, innovation et diversité culturelle), invitant chacun à exprimer son identité autour de la table.
Pour la marque danoise Hoptimist, c’est le sourire de ses figurines qui donne vie à l’expérience en créant le mouvement, le contact et l'émotion. « La marque multiplie aussi les formats d’activation : les vitrines animées, mais aussi l'Hoptimist Tour, à l'occasion duquel nous prêtons une grande figurine à des détaillants pour l’exposer en magasin pendant trois à quatre semaines. Chaque année, une dizaine à une douzaine de boutiques participent, et l'opération suscite systématiquement beaucoup d’attractivité et de curiosité en point de vente. Au-delà des commandes directes, ce sont surtout les retours des clients et des commerçants qui témoignent d'une fréquentation accrue et d'un réel engouement : à chaque fois, les retours sont très positifs. », témoigne Maryse Petitpas (F&H groupe).
L'experte du merchandising Emilie Miquelestorena met toutefois en garde contre un storytelling superficiel ou plaqué : « Le signe numéro 1, c'est lorsqu’on passe sans même remarquer la mise en scène. Souvent, le manque de maîtrise du visual merchandising affaiblit le récit. Celui-ci doit servir de liant, créer des points d’arrêt et relancer l'intérêt du client tout au long du parcours. » Autrement dit : un récit authentique se vit dans l'espace boutique comme une expérience globale, pensée dans le moindre détail matériaux, parcours, signalétique, packaging et non seulement à travers la parole officielle ou les contenus digitaux.
C'est cette matérialisation concrète des valeurs durabilité, authenticité, engagement à travers le merchandising et le design sensoriel qui fait naître l'attachement et donne corps à l’histoire racontée par la marque.
LE B2B, NOUVEAU LEVIER NARRATIF
Embarquer les détaillants et les partenaires de distribution permet en outre d’amplifier et de pérenniser le récit de la marque. « Il faut embarquer le plus en amont possible les détaillants dans une démarche où l'émotion, le geste technique et le souci du goût prennent toute leur place — pas seulement un argumentaire produit, mais un partage d’expertise et de passion », estime Stéphanie Barthoulot.
Hoptimist s’inscrit dans cette logique, misant sur l'expérience, le lien, et la capacité à fédérer : « Les fêtes de fin d’année représentent 25 % de nos ventes en France. L'univers doit paraître féérique, susciter des coups de cœur et laisser libre cours à la créativité de chaque revendeur », fait valoir Maryse Petitpas. Pour l’édition de Noël 2025, la marque entend valoriser les vitrines et stimuler la créativité des détaillants via un concours et partager sur les réseaux les meilleures réalisations, en impliquant également la presse B2B. « Nous nous appuyons beaucoup sur la viralité, en partageant les photos de vitrines envoyées par nos revendeurs. Cela rassure et inspire le réseau. Il faut laisser chacun s’approprier la marque, l'intégrer à sa propre histoire, et oser l’expression créative : c'est ainsi que l’univers Hoptimist se propage et fidélise. » Cette dynamique collaborative implique aussi des outils concrets : supports PLV, outils merchandising, animations. « Lorsque nos partenaires maîtrisent notre récit et s'en font l’écho, ils nourrissent la fidélisation à la marque autant que la performance commerciale », ajoute Maryse Petitpas.
Cette vision est partagée par Philippe Gelb (Beka France) : « Depuis plusieurs années, nous avons repensé notre communication B2B pour renforcer le lien avec nos partenaires détaillants. À l'occasion de notre 120e anniversaire en 2019, nous avions mis en place des actions spécifiques, comme la valorisation d’un produit emblématique chaque mois et des offres dédiées.
Nous avons enrichi nos outils avec des brochures de gamme adaptées au retail, des packagings pensés pour le point de vente, et une visibilité accrue de nos engagements sur les emballages. Enfin, nous publions régulièrement des campagnes dans la presse professionnelle, avec des contenus exclusifs pour nos revendeurs. »
Philippe Gelb en est persuadé : « Ce dialogue direct avec les professionnels est essentiel permet de partager la dynamique, les valeurs de Beka et de les associer pleinement à la réussite de la marque. »
LE COQ FRANÇAIS FAIT DE LA COUTELLERIE UN SUPPORT DE RÉCIT
En concevant chaque modèle comme un objet narratif, porteur de l'histoire et des traditions d’une région, Le Coq Français s'appuie sur le storytelling territorial pour donner une dimension unique à ses couteaux. Fondée en 2019 par Pierre-Edouard Morin, la marque met en avant le patrimoine français à travers ses créations, en intégrant des motifs, des matériaux ou des références culturelles locales. Les projets vont des couteaux personnalisés pour des sites célèbres tels que le Mont Saint-Michel à des éditions spéciales valorisant la faune, la flore ou les savoir-faire régionaux.
Cette approche repose sur une stratégie d’hyperpersonnalisation : Le Coq Français propose en effet un accompagnement sur-mesure à ses clients professionnels : conception du couteau mais aussi du packaging et de supports PLV personnalisés, parfois enrichis de détails (l’adresse du magasin, par exemple). Un service qui transforme le produit en outil de communication valorisant l’identité de la boutique et renforçant le lien avec sa clientèle. L’exemple de son partenariat avec la Coutellerie Destannes à Aurillac en est une illustration : des manches en chêne issus des poutres de l’ancienne église d’Aurillac associés à un projet de valorisation du patrimoine : « Le succès a été immédiat : 420 unités vendues en 40 jours, et un large écho médiatique dans La Montagne et France 3 Auvergne », souligne la marque qui a enregistré un chiffre d'affaires de 647 000 € en 2024 (versus 250 000 € en 2023).
Maryse Petitpas souligne la même démarche chez Hoptimist : « Dès la prise de commande, nous proposons des assortiments adaptés et fournissons une PLV inspirante, afin que chacun puisse raconter la marque dans sa boutique. Nous expliquons à nos partenaires l’histoire, le design, les origines et toutes nos valeurs, pour qu’ils s’approprient pleinement le récit et le partagent avec leurs équipes et clients. » Cette dynamique de cocréation et d’accompagnement favorise un storytelling collectif, porté par l'adhésion du réseau.
À l’ère des récits évolutifs, ces acteurs rappellent que le storytelling n’est pas un artifice, mais un véritable levier d’acquisition et de fidélisation.
En articulant innovation, sincérité et pédagogie ils contribuent à faire émerger une nouvelle génération de récits dans l’univers des arts de la table : plus vivants, plus ouverts, et capables de se réinventer pour séduire demain.
Les prochaines frontières du storytelling expérientiel s’annoncent prometteuses, à l’image des alliances entre les marques qui maximisent les espaces et enrichissent les univers, à condition que l’expérience proposée reste harmonieuse et sincère, et surtout qu’elle ait du sens pour le client.
Reste à mesurer l'impact de ces démarches. L’attachement à la marque se construit sur la durée : il se jauge dans la fidélité, la revisite, la capacité à attirer de nouvelles clientèles, mais aussi dans la cohérence perçue du récit. Les outils mobilisés sont nombreux : enquêtes post-achat, études shopper en magasin, analyse des retours et conversations sur les réseaux sociaux, ou observation qualitative des parcours. Car l'efficacité d'un storytelling se révèle moins dans l’instant que dans la constance de l'adhésion, l'engagement renouvelé et l’écho qu'il laisse dans l'esprit du consommateur.