Dossier

''Un objet doit avant tout être pratique et remplir son office''

31 août 2021
Par : Sophie KOMAROFF

Simple, fonctionnel et optimiste : le style de Big-Game se retrouve notamment parmi les collections Hay, Muuto, Alessi, Lafuma ou encore Opinel, pour qui le studio de design vient de signer une première collection de couverts de table. Entretien avec Augustin Scott de Martinville, Elric Petit et Grégoire Jeanmonod, fondateurs de Big-Game.

Qu’est ce qui caractérise l’approche du studio Big-Game ?

Big-Game n’est pas cantonné à une seule industrie. Nous travaillons avec des marques horlogères (nous sommes basés en Suisse), de mobiliers, d’objets électroniques, de décoration et d’art de la table, de luminaires, etc. Le champ est vaste et nous nous sommes aperçus que travailler pour telle industrie était enrichissante pour les projets relatifs à telle autre, raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas être mono-catégorie. Nous apprécions de passer d’un sujet à l’autre pour réaliser des objets de la vie quotidienne. 

Notre approche consiste à s’adresser au plus grand nombre, avec un spectre le plus large possible qui va des enfants aux personnes âgées. Il est gratifiant pour nous que le produit créé affiche un prix compétitif, cela signifie que notre design a pris en compte efficacement les contraintes industrielles pour un résultat dont la production est économe en ressources. 

Notre approche consiste à allier la fonctionnalité à l’esthétique : la première est universelle tandis que la seconde varie au gré des pays et des cultures, or nous travaillons avec des partenaires internationaux (Asie, pays du nord de l’Europe, Italie, etc.). Un objet doit avant tout être pratique et remplir son office efficacement. Le véritable défi de notre métier est de rendre cet objet fonctionnel et élégant pour qu’il apporte une touche de plaisir au quotidien !

Opinel et le studio Big-Game se sont replongés dans les racines de la marque savoyarde : ils ont ainsi créé la première collection de couverts de table Opinel, dont le design fait écho aux silhouettes historiques de célèbres couteaux de poche. Ce service est un hommage à Perpétue (1813-1858). Grand-mère du fondateur de l’entreprise, Joseph Opinel, elle forgeait des clous en Savoie aux côtés de son époux Victor-Amédée. Les couverts Perpétue sont en acier monobloc, résistants au passage au lave-vaisselle. Le couteau est doté d’un manche plein et galbé, ainsi que d’une lame microdentée. Disponibilité : octobre 2021. 

Prix publics : de 6 à 12 € l’unité selon le modèle, 48 € la boite de 4 couteaux, 135 € le service 16 pièces


Quels critères ont guidé votre collaboration avec Opinel pour la création de sa collection de couverts Perpétue ?

Opinel est une marque solide sur ses bases, détentrice d’un héritage magnifique et dont les valeurs sont alignées avec les nôtres. Elle s’attache à faire évoluer ses gammes pour rester d’actualité en évitant l’objet gadget qui capitalisera sur la marque mais ne sera pas viable. 

Opinel souhaitait développer son offre “table” mais son emblématique couteau pliant n’est pas adapté à un usage domestique quotidien et ni au passage au lave-vaisselle. Le brief requérait des couverts de table robustes, inusables, aussi bien pour un restaurant qu’un foyer. 

En outre, le catalogue Opinel ne comportait ni cuillère ni fourchette. Nous avons donc opté pour un service tout acier aux lignes simples mais reconnaissables, rappelant la silhouette du couteau de poche. Cet exercice de design industriel a requis une importante part de réflexion avec l’entreprise pour proposer un produit porteur d’un esprit de famille s’intégrant à une offre qui n’est pas hétéroclite. Le produit est tellement essentiel et simple qu’il évoque l’évidence.

Pour le projet 2016/Arita, à l’occasion des 400 ans de la marque, le studio Big-Game a imaginé en partenariat avec Kubota Minoru Ceramics un service à café empilable. Il se caractérise par une dualité de matériaux : l’un hautement résistant et utilisable directement sur le feu, l’autre poreux pour filtrer les liquides.


Comment évolue le rôle du design et du designer dans le contexte de la crise sanitaire ?

La pandémie de covid-19 a mis en évidence que chacun d’entre nous a la possibilité de faire de nombreuses choses jusqu’alors considérées comme impossibles : être plus agile, travailler de chez soi, etc. La crise sanitaire permet de prendre des raccourcis et de gagner en rapidité. 

Le design joue un rôle-clé car de nouveaux process s’élaborent : travail, apprentissage, formation, consommation, etc. Avec le développement du télétravail, les objets habituellement reliés à la sphère professionnelle deviendront plus “domestiques” : comment faire des chaises pour la maison adaptées au travail de bureau, par exemple ? En parallèle, la question se pose également de rendre les lieux de travail plus chaleureux et attrayants. De multiples opportunités s’ouvrent pour les designers et les marques en vue d’imaginer de nouvelles propositions. 

La marque française Tiptoe, par exemple, vient de lancer des canapés que nous avons dessinés, et pour lesquels nous avons dû intégrer dès le début des contraintes de livraison à domicile en colis compact pour être compatible avec un achat en ligne. La tendance “green” et l’écoresponsabilité correspondent à de réelles attentes : même s’il y a la théorie et ce qui se passe en pratique avec les déchets générés par les masques ou les emballages par exemple, des pratiques plus vertueuses se développent et les designers seront attendus sur leur capacité à proposer des solutions dans ce sens. 

A gauche : Le studio Big-Game a designé les paniers en polypropylène Basket pour la marque danoise Hay en 2015. Déclinés en 2 tailles, polyvalents et épurés, ils s’intègrent à tous les espaces de la maison. - A droite : La boite à pain Mattina créée pour Alessi par Big-Game en 2020 est dotée de petites perforations pour un contrôle de l’humidité afin de permettre une conservation optimale. Elle est aussi munie de poignées pour être transportée aisément à table et son couvercle fait office de planche.

Les enjeux évoluent et nous observons un réveil après les coups de frein de 2020. De nombreuses entreprises remettent à plat leur modèle et manifestent une volonté de prendre le temps de faire les choses bien et de questionner certains points qu’elles laissaient auparavant de côté au profit de cycles de création constants et, parfois, effrénés. Les marques qui rencontrent le plus de succès sont désormais celles qui s’inscrivent dans une logique durable. La réparabilité se révèle à ce titre un critère de plus en plus pris en compte. En matière d’art de la table, les aspirations portent également sur la notion de “se faire plaisir avant tout”, une attente épicurienne à domicile. 

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