Face à l’émergence de nouveaux acteurs, les détaillants d’art de la table se trouvent confrontés à u
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Saisonnalité maîtrisée, performance assurée : L’art d’anticiper pour mieux vendre d’anticiper pour mieux vendre
Chaque saison impose ses règles, et il est impératif d’anticiper les volumes, d’affiner son offre et de piloter efficacement ses campagnes commerciales, particulièrement dans les univers exigeants de l’art de la table et de la décoration.
Bien vendre au bon moment dépend d’une stratégie claire : la réussite d’une saison ne doit en effet rien au hasard. Comment éviter les ruptures ou les invendus ? Comment valoriser les collections sans surcharge ? Éclairage croisé de marques, de distributeurs et d’experts pour optimiser la gestion commerciale et transformer les temps forts en leviers de croissance.
L’ASSORTIMENT PERMANENT COMME SOCLE IDENTITAIRE

Directeur de la transformation digitale chez EK France (Ambiance & Styles), Stéphane Malherbe insiste sur l’importance de créer du lien émotionnel à travers les temps forts. « Au-delà des grands classiques tels que Noël ou l’été, nous imaginons des campagnes thématiques pensées pour interpeller et émerveiller, autour de moments du quotidien ou d’instants clés dans la vie des clients. »

Une démarche alignée avec le nouveau positionnement de l’enseigne, ‘Ensemble pour de bons moments’, dévoilé le 23 juillet. Les campagnes et les collections ne s’opposent pas selon lui, elles se renforcent.
L’assortiment permanent, qui représente environ 50 % du chiffre d’affaires, constitue le socle identitaire. Autour, des produits saisonniers viennent animer l’offre et répondre aux envies du moment.
« Chaque campagne est construite près d’un an à l’avance, avec un plan de communication et une offre élaborés collectivement par les chefs de produits et les adhérents », souligne Stéphane Malherbe.
LA RARETÉ STIMULE L’ACHAT ET AIDE À GÉRER LES STOCKS

De son côté, Béatrice Brandt, directrice générale du spécialiste du linge de maison haut de gamme Le Jacquard Français et présidente de la commission export de l’Union des industries textiles (UIT), alerte d’abord sur la banalisation des promotions :
« Les ventes privées démarrent de plus en plus tôt, avec déjà - 30 % voire - 40 % avant même les soldes. Le consommateur n’achète presque plus qu’en promotion. »
Une spirale qui fragilise toute la chaîne, où le prix réduit devient la norme. Pour sortir de cette logique, la marque mise sur des campagnes thématiques et des collaborations fortes.
« Elles permettent de raconter une autre histoire, autour de chefs, de marques gastronomiques ou de designers tels que Jean-Michel Wilmotte. » Ces capsules créent de la valeur, de l’émotion et de la différenciation. Leur rareté stimule l’achat et aide à gérer les stocks, mais l’équilibre reste fragile : « Sous-produire limite le retour sur investissement, car une capsule mobilise d’importantes ressources, pointe Béatrice Brandt. Quant aux collections permanentes, elles exigent une gestion fine pour éviter ruptures ou surstocks. »
CRÉER DU LIEN, GÉNÉRER DU FLUX

Chez Yoko Design, la planification est au cœur de la stratégie commerciale. « Pour les temps forts comme Noël, la rentrée ou la fête des Mères, nous anticipons jusqu’à six mois, témoigne Murad Ruifed, directeur commercial.
Nous construisons des offres spécifiques (coffrets cadeaux, designs tendance) et nous négocions en amont avec les grandes enseignes pour caler des volumes précis. Cela nous permet de bien dimensionner nos productions et d’éviter les ruptures. »

En parallèle, les collections permanentes tournent toute l’année. « Nous fonctionnons avec un stock tampon, que nous ajustons dès qu’un seuil est atteint. L’idée, c’est de ne jamais manquer pendant les pics tout en évitant les invendus », indique Murad Ruifed.
Car ces collections sont l’ADN de Yoko Design : « Elles s’articulent autour d’un univers cohérent, décliné sur toute la gamme : bouteilles, lunchbox, mugs, etc. Chaque année, nous les renouvelons pour suivre les tendances. À côté, nous lançons des campagnes plus ponctuelles, très ciblées. C’est une double logique : construire l’image de marque sur le long terme tout en créant du trafic en magasin. »
SORTIR LE PRODUIT DE SA ZONE NATURELLE
Pour certaines marques, la stratégie commerciale s’émancipe des campagnes thématiques au profit de collections durables. C’est le cas chez Cosy & Trendy (Billiet) : « Nous nous éloignons volontairement des campagnes comme les Jeux olympiques ou les licences type Disney, fait valoir Benoit Dessoutter, directeur commercial. Entre les droits à payer, les coûts de développement et les invendus, le bilan est défavorable. »

L’accent est désormais mis sur des gammes pérennes, pensées en amont, et animées avec agilité. « Nous les enrichissons de prêt-à-vendre ou de petits displays pour leur donner de la visibilité sans bouleverser l’assortiment. L’objectif est de sortir le produit de sa zone naturelle pour créer de l’impulsion d’achat. »
L’exigence est la même du côté saisonnalité : « Une offre efficace se joue dix mois à un an à l’avance. Il faut que chacun s’engage. Une fois la saison passée, le produit perd de sa valeur perçue. »
Cette rigueur dans la planification assure une meilleure rotation du stock et sécurise l’approvisionnement. « C’est une discipline commerciale contraignante, mais absolument clé pour préserver la rentabilité. »
INTRODUIRE DE LA NOUVEAUTÉ SANS DÉSÉQUILIBRER L’ENSEMBLE

Chez JJA, la construction de l’offre repose sur un équilibre subtil entre les collections et les campagnes thématiques.
« Les campagnes, fondées sur une ambiance comme la Provence, s’intègrent facilement au linéaire permanent, explique Anna Terroitin, cheffe de groupe art de la table du groupe JJA.

Elles encouragent la vente croisée, limitent les invendus et s’adaptent aux assortiments existants. À l’inverse, une collection, avec son univers visuel fort, génère le coup de cœur mais s’écoule moins facilement une fois l’effet de masse perdu. »
Selon Véronique Bancells, directrice du style et des collections saisonnières, « l’offre s’articule en trois niveaux : un socle permanent de best-sellers, des collections ancrées dans nos cinq styles identitaires, et des capsules plus ciblées. Cela nous permet d’introduire de la nouveauté sans déséquilibrer l’ensemble ».
Côté saisonnalité, l’anticipation est clé. « Il n’existe pas de formule magique, admet Anna Terroitin. Mais en showroom, nous testons des thématiques, telles que l’outdoor, pour capter les signaux faibles. Et du côté des revendeurs, se positionner tôt est indispensable pour éviter ruptures et surstocks. »
Véronique Bancells souligne en outre l’importance de la coordination entre les équipes : « Nous partageons nos prévisions avec le commerce, et ajustons selon leurs retours. Entre données passées, tendances, et intuition, il faut arbitrer avec justesse. Je privilégie une prise de risque raisonnée, appuyée sur des préventes quand c’est possible. »
CHAROLLES 1844 À LA COULEUR DE L’ÉTÉ

Une série éphémère à la hauteur de la tendance : le jaune, couleur phare de la saison printemps-été 2025, s’est invité dans le catalogue de Charolles 1844.
La manufacture signe en effet une série limitée de son emblématique vase Glouglou baptisée Butter Lemon. Ce coloris a été choisi pour sa capacité à capter la lumière, entre énergie solaire et douceur pastel. Révélant toute la richesse de l’émail, il s’associe aisément à une palette de teintes neutres.
« Butter Lemon évoque un petit matin d’été, une lumière discrète et chaleureuse qui met en valeur la forme et la matière », souligne la manufacture.
Lancée le 23 juin dernier, le vase Glouglou Butter Lemon est uniquement disponible jusqu’au 30 septembre 2025.
« LA PRÉVISION RELÈVE AUTANT DE L’ART QUE DE LA SCIENCE »

Chez LSA International, les campagnes ne suivent pas forcément un calendrier saisonnier strict. « Nos campagnes thématiques reflètent nos valeurs et notre message tout au long de l’année, décrit Richard Smedley, directeur général. Mais selon le contexte, nous mettrons en avant une collection spécifique, comme nos vases Flower pour la fête des Mères, ou nos carafes pour la fête des Pères. »
Lancer de nouvelles collections reste un exercice délicat. « Nous utilisons une variété de données pour anticiper la demande avant le lancement, puis nous ajustons rapidement en fonction des premières ventes, notamment en magasin chez nos partenaires ou sur notre site. »

En matière de stock, l’équilibre est subtil. « La prévision relève autant de l’art que de la science. Nous nous appuyons sur des données historiques, des processus de prévision rodés, mais face à l’évolution constante des comportements d’achat, une part d’imprévisibilité demeure. » Malgré cela, LSA affiche « de très bons taux de livraison » et une gestion maîtrisée des approvisionnements.
LES SAISONS JOUENT LES PROLONGATIONS
Observatrice attentive, Sophie David, directrice générale des salons Bisou et Hexagone, met en évidence une évolution nette des pratiques d’achat.
« Les boutiques adoptent aujourd’hui une gestion plus prudente et agile. Elles évitent les grosses commandes initiales et préfèrent fonctionner par réassorts réguliers. »
Une stratégie dictée par le coût du stockage et une visibilité réduite sur les saisons.
« Là où un commerçant commandait 100 pièces, il en prend 30, avec la possibilité de recommander en fonction des ventes. »
Cette approche permet de tester les produits en conditions réelles, d’ajuster rapidement l’assortiment et de limiter les risques de rupture.

« Les professionnels surveillent de près leurs stocks et fonctionnent au fil de l’eau », note Sophie David. Un fonctionnement qui impose une remise en question continue des références, mais améliore l’agilité commerciale.
Une tendance marquée, selon elle, dans les zones touristiques où les saisons se prolongent, « comme à la montagne ou sur la Côte-d’Azur ».
BIG LOVE : OBJETS POLYVALENTS POUR MOMENTS FESTIFS

« Les dernières tendances de consommation nous indiquent que les consommateurs sont à la recherche d’expériences, et pas seulement de repas, ainsi que d’articles qui rendent leurs espaces plus accueillants et agréables.
C’est particulièrement vrai au cours du dernier trimestre de l’année, à l’occasion des rassemblements familiaux et des fêtes saisonnières, observe Claire Budgen, directrice commerciale et marketing de Lifetime Brands dont la collection Big Love de Jamie Oliver s’inscrit dans ce contexte.
Les pièces individuelles à usages multiples ont un impact important, favorisant une expérience commune, idéale pour les repas de saison, et permettant aux consommateurs d’obtenir ce sentiment de simplicité et d’éclectisme qui fait vraiment sortir la gamme du lot. En juin, la marque a enrichi la collection Big Love, avec une offre élargie de céramiques aux formes organiques, aux détails bruts et aux émaux colorés, et, à l’écoute des retours clients, ainsi que des verres, des couverts et des serviettes de table. Ces nouvelles pièces mettent en valeur les aliments et sont parfaites pour les présentations saisonnières. Elles permettent aux clients de créer de belles présentations en magasin qui inspirent les consommateurs », conclut Claire Budgen.
UNE SOLUTION DE BUSINESS INTELLIGENCE POUR AFFINER LA VISION

Selon Stéphane Malherbe, la réussite commerciale repose autant sur l’anticipation que sur l’agilité. « Notre structure coopérative est un levier puissant : chaque adhérent connaît parfaitement son marché et adapte ses commandes en fonction de son historique et de sa clientèle. »
Pour soutenir cette autonomie, EK France s’appuie sur des outils de pilotage avancés. « Nous avons mis en place une solution de business intelligence (Power BI) qui donne à chacun une vision fine de la performance des autres magasins. Cela permet d’ajuster les volumes avec précision et de limiter les ruptures comme les surstocks. »

Mais au-delà de la donnée, l’expérience en point de vente reste centrale. « Les vitrines sont un levier de différenciation. Elles doivent séduire immédiatement, tout en étant déclinées en digital, sachant que 79 % des clients consultent en ligne avant leur visite.
L’expérience client ne s’arrête pas à l’achat : l’emballage cadeau offert, par exemple, reste un petit geste qui fait la différence », conclut Stéphane Malherbe.
Une conviction forte : maîtriser la saisonnalité, c’est avant tout orchestrer une expérience fluide, inspirante et sans fausse note, du stock à la vitrine.

