Les deux fabricants allemands ont noué un partenariat il y a quelques mois, alliant ainsi leurs expe
Dossier
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Porcelaine : entre tradition et innovation, les nouvelles frontières du luxe
Pour attirer de nouveaux talents ou faire face aux nouveaux arrivants, de la conception aux choix des formes, en passant par le décor et sa finition, les acteurs de la porcelaine se challengent tout en continuant de célébrer leur riche héritage artisanal.
Lorsque Sophie Salager a découvert la Manufacture de Couleuvre dans le Bourbonnais il y a deux ans et demi, elle a immédiatement été séduite par les 10 000 m2 d’usine, les 235 ans d’histoire et de savoir-faire nés de la rencontre fortuite entre un gisement de kaolin local et l’abondance de bois dans la forêt de Tronçais pour alimenter les fours. Mais, dès son arrivée, cette historienne de l’art spécialisée dans les objets du XVIIIe siècle a décidé d’opérer un changement radical. « J’ai pris la décision de mettre de côté la production de la marque Muriel Grateau, spécialisée dans la porcelaine destinée aux arts de la table et teintée masse, pour recentrer notre activité sur la fabrication de pièces sur-mesure en marque blanche à destination d’un marché B2B aujourd’hui composé de marques d’exception de grands groupes français. De plus, nous avons entrepris la réédition d’archives de la manufacture. Pour cela, nous puisons dans un riche et exceptionnel patrimoine composé de 6 500 modèles et 300 000 moules. »
Dès lors, l’entreprise se distingue par son expertise inégalée en matière de reliefs. « Ici aucune calibreuse ou machine sous pression. Nos pièces – de véritables œuvres sculpturales – sont réalisées par la main de l’Homme de la première à la dernière étape et notamment par celles de nos quatre modeleurs, véritables artisans d’art dont la maîtrise des gestes tend à se perdre. Ces pièces contemporaines sont le fruit d’étroites collaborations entre les marques et nos designers qui les modélisent avant de les mettre en production. C’est notamment le cas pour Babylone, la dernière collection de Christofle qui résulte de leur collaboration avec Aurélie Bidermann. Ce travail a donné naissance à des assiettes dont le bassin mat est rehaussé d’une tresse en biscuit, minutieusement réalisée à la main.
Plusieurs heures de travail
sont nécessaires à la réalisation d’une seule pièce et c’est ce que ces
marques d’exception recherchent. Longtemps focalisées sur le décor,
elles témoignent désormais d’un véritable intérêt pour la forme et le
relief uniques et sur-mesure plus différenciants. Elles peuvent bouder
les assiettes rondes et festonnées usinées », explique Sophie Salager
avant de rappeler que pour compléter ce marché, la Manufacture de
Couleuvre adresse également des particuliers grâce à son site internet
et son magasin d’usine.
LES DÉCORATEURS GARDENT LE CAP
La maison Raynaud, créée en 1919 par la famille éponyme, se distingue, quant à elle, par la qualité de ses décors. Issu de la troisième génération, Bertrand Raynaud est aujourd’hui en charge de la création de la marque et perpétue la tradition à laquelle il ne manque pas d’insuffler la dose d’innovation nécessaire pour satisfaire des clients historiquement internationaux – notamment américains – du circuit horeca (hôtellerie, restauration, café), mais aussi des décorateurs et des architectes d’intérieur qui, pour leurs propres clients – professionnels ou particuliers – apprécient particulièrement le savoir-faire décoratif unique de la maison.
« Nous travaillons également avec des institutionnels. La finesse des décors, la richesse des couleurs, le soin apporté au détail et notre capacité à repousser la limite des possibles pour adapter un décor à une pièce sont particulièrement appréciés. C’est notamment le cas avec un décor graphique comme celui de la collection Trésor qui vient par exemple épouser une tasse dans son entièreté et nécessite, de fait, la pose de deux chromos différents avec deux cuissons et, avec elles, l’impérieuse nécessité d’un raccord parfait et d’une jonction invisible », explique Elodie Mongellaz, responsable marketing et communication de Raynaud.
Pour déterminer quels seront les prochains décors, Elodie Mongellaz concède que la maison fait souvent appel à son instinct et porte une grande attention aux attentes de ses clients. « La collection Abysses réalisée en collaboration avec Aurore de la Morinerie est née par hasard. L’artiste avait publié un travel book avec Louis Vuitton qui a fait l’objet d’un article dans le magazine AD sur lequel est tombé Bertrand Raynaud. Il a été conquis par son travail et, à partir de là, a imaginé la dimension que ces illustrations pourraient prendre sur ses pièces en porcelaine de Limoges.
Sur Imari et Abysses, nos deux dernières collections, nous avons travaillé le décor en variant les motifs, en créant la surprise d’une pièce à l’autre, sans les décliner de façon systématique et automatique. Par exemple, la paire de tasses à café Imari a un décor différent de la paire de tasses à thé, les deux se complètent mais ne sont pas identiques. Sur Abysses, certaines pièces comportent des motifs de faune marine, d’autres non, décrit Elodie Mongellaz avant de poursuivre :
D’autres processus créatifs ont également lieu en interne, pour créer des designs plus intemporels avec du noir, de l’or à l’instar d’Oskar. Nous avons également fait appel à Olivier Maillefer, un ancien designer de la Maison Raynaud qui est à l’origine du décor Imari lancé en septembre dernier. Il n’y a pas de processus figé. Les créations naissent au gré des projets, des rencontres, des envies. »
Michel Bernardaud, président de la maison éponyme, définit, quant à
lui, l’approche du style de la maison éponyme comme volatile : « Chez
Bernardaud, nous sommes à la fois ancrés dans la tradition et ouverts
à l’innovation. Nous possédons notre propre imprimerie, d’une qualité
exceptionnelle, et disposons d’un bureau interne de création. Cette
spécificité nous confère une grande liberté dans nos créations poussant
le plus loin possible la complexité de nos décors et nous permet d’innover en permanence en proposant par exemple des décors texturés ou
inventant des couleurs miroir réfléchissantes comme celles imaginées
pour l’artiste Jeff Koons. »
FORMES ET FINITIONS : LE MIX & MATCH S’AFFIRME !
Sophie Salager concède qu’il suffit parfois de peu pour qu’une pièce datée donne le sentiment d’avoir fait l’objet d’une cure de jouvence. « Redessiner l’anse d’une tasse, le pied d’un vase, suffit parfois à rendre ces pièces plus contemporaines », illustre-t-elle. Une seconde tendance émergente dans ce domaine est la fusion de techniques de finition traditionnelles avec des méthodes plus contemporaines, créant ainsi des pièces uniques et originales qui marient l’ancien et le nouveau. Certaines pièces comme celles de la Manufacture de Couleuvre combinent des finitions mates avec des émaux brillants pour créer des contrastes visuels saisissants, ajoutant ainsi une dimension supplémentaire à leurs créations. « C’est encore assez peu courant parce que ça prend du temps, souligne Sophie Salager. C’est un travail entièrement artisanal qui consiste à cirer et réserver des parties de la pièce que vous ne souhaitez pas émailler. À la Manufacture de Couleuvre, nous aimons le temps long. Certaines pièces de la collection qui sortira en septembre prochain ont été imaginées ainsi. »
Cette tendance du mix and match, Elodie Mongellaz chez Raynaud,
l’observe également : « Le dressage est beaucoup plus décomplexé,
notamment chez les jeunes générations. C’est une tendance que nous
avons identifiée et nous n’hésitons pas à mixer nos propres collections.
Chez Raynaud, nous nous amusons régulièrement à mixer des collections qui, a priori, n’avaient rien en commun et nous nous apercevons
que, souvent, cela fonctionne. C’est une affaire d’imagination et de
goût. Pour de futurs lancements, nous étudions également l’idée du mix and match au sein d’une même collection, sur des matières, sur
des finitions. Le contraste mat et émaillé est très moderne et élégant.
Nous en sommes encore aux prémices et de nombreux tests seront
sans doute encore nécessaires pour s’assurer du résultat », explique
Elodie Mongellaz. Et de confier par ailleurs que la marque explore des
voies plus technologiques pour s’offrir une plus grande liberté créative
en termes de formes.
DES POSSIBILITÉS DE CONCEPTION ÉLARGIES PAR LA 3D
Comme Raynaud, de nombreuses marques se tournent vers l’impression 3D pour explorer de nouvelles formes de blanc. « C’est fascinant à la fois pour la rapidité de réalisation que pour l’ampleur des possibilités offertes. Chez Raynaud, nous utilisons actuellement des imprimantes 3D pour créer des pièces en plastique qui servent à tester des moules destinés à notre atelier de modelage. Ceux-ci sont ensuite traduits de manière plus traditionnelle. Cependant, certaines maisons impriment déjà directement de la porcelaine. Cela permet notamment d’obtenir des formes qui seraient impossibles à réaliser de manière traditionnelle en raison de la fragilité de la porcelaine, ce qui, dans certains cas, complique le démoulage. »
Une vision partagée par Michel Bernardaud : « Contrairement à ce que d’aucuns pensent, ces savoir-faire ancestraux se conjuguent très bien avec les nouvelles technologies. Souvent associée aux arts de la table, la porcelaine a de tout temps a été utilisée dans d’autres territoires tels que les meubles ou les luminaires, ou les contenants spiritueux. Chaque projet, de plus en plus complexe, est un enrichissement, une nouvelle opportunité de pousser un peu plus loin la porcelaine, la sortir de ses limites, car la porcelaine est un matériau complexe et difficile à maîtriser. » Pour Elodie Mongellaz, il reste néanmoins nécessaire de rappeler que s’il semble évident que l’impression 3D permet de réaliser des pièces phénoménales, en termes de finesse, rien n’est pour le moment encore comparable à la main de l’Homme.
Pour Vanessa Sitbon, directrice de la communication, du marketing et du digital chez Haviland, les évolutions techniques, technologiques ou encore artistiques des savoir-faire représentent aussi le moyen de recruter au sein des jeunes talents : « Nos métiers reposent sur des gestes ancestraux, estime-t-elle. L’hybridation entre tradition et modernisme est essentielle pour attirer la nouvelle génération d’artisans à travailler avec nous. Il est primordial de leur démontrer que les métiers d’art sont en constante évolution, c’est pourquoi nous sommes labélisés Entreprise du patrimoine vivant. De plus, ces avancées significatives nous poussent à relever le défi de surprendre continuellement les arts de la table et les consommateurs. »
Vanessa Sitbon rappelle par ailleurs que pour pérenniser les activités
de la marque et rester pertinente face à l’arrivée de grands groupes à
l’instar de LVMH dans le secteur des arts de la table, tout en continuant
de célébrer le riche héritage artisanal de la porcelaine et de la céramique,
les marques n’ont définitivement plus le choix que de se challenger pour
ainsi répondre aux besoins des consommateurs contemporains qui
cherchent à la fois la qualité et l’esthétique dans leurs articles de table.
INSPIRATIONS PORCELAINE
LIFETIME BRANDS
La porcelaine continue d’être associée à des designs classiques : c’est par exemple
le cas de Mikasa Chalk, collection en porcelaine blanche polyvalente qui laisse libre
cours au mix & match. « Cependant, nous constatons également que les consommateurs gravitent autour de tendances maximalistes pour créer des paysages
de table saisissants, dignes des médias sociaux, qui célèbrent la vaisselle d’une
manière audacieuse, observe Claire Budgen, directrice marketing et commerciale
chez Lifetime brands. Notre collaboration Mikasa x Sarah Arnett repousse les limites
de la couleur et du motif. Nous avons collaboré cette créatrice basée au RoyaumeUni en utilisant des éléments de ses modèles à succès pour créer une proposition
exclusive pour notre gamme Mikasa. » Coloré et vibrant, ce service de table et à
thé inspiré de la flore, de la faune, du cinéma, de la poésie, de l’architecture et des
voyages, ajoute une touche d’aventure pour soi, ou pour offrir. Articles livrés en
boîtes-cadeaux recyclables et prêtes à l’envoi.
ZONE DENMARK
La marque de F&H Group investit le champ de l’art de la table avec Eau, un service
de table en porcelaine de douze pièces épurées et pratiques (assiettes, bols, tasses,
carafe). Simple et efficace : son coloris blanc cassé et sa robustesse lui permettent
un usage aussi bien domestique que professionnel. Le plus ? Tout est empilable
pour un gain de place dans les placards. Prix public : de 6,95 € à 32,95 €.
PILLIVUYT
La toile de Jouy et la porcelaine Pillivuyt se rencontrent pour donner naissance à
la collection Les Quatre Parties du monde, issue d’une collaboration avec le Musée
de la Toile de Jouy de Jouy-en-Josas. Chaque pièce « incarne la fusion unique
entre l’histoire captivante de l’iconologie de Cesare Ripa et l’ingéniosité artistique
de Huet, révélant ainsi les continents européen, africain, américain et asiatique à
travers des allégories codifiées », explique-t-on chez Pillivuyt qui propose ainsi un
banquet artistique. Chaque pièce devient ainsi une fenêtre sur le XVIIIe siècle, dans
une symphonie de couleurs (pourpre, jaune, bronze, vert empire, bleu, gris foncé)
et d’allégories, conçue pour être superposée et assortie. Références disponibles :
assiettes plates ø 17, 22 et 26 cm, assiette creuse ø 22 cm, tasse + soucoupe à
moka, mug, bols saladiers ø 13 et 15 cm. *
RAK PORCELAIN
Contours fluides et design artistique pour la collection Pose en porcelaine fine,
présentée en janvier dernier à Ambiente. « Parfaitement imparfaite » comme le
souligne le fabricant, cette gamme introduit un mouvement libre dans le dressage.
RAK Porcelain a collaboré avec Ana Roquero, PDG et designer de Cookplay et
lauréate du Reddot Award pour imaginer ce service de 18 pièces. Une porcelaine
blanche, brillante et pure pour une table au luxe discret. 18 références disponibles.
VILLEROY & BOCH
Tendance ultra minimaliste pour Afina, la nouvelle collection de Villeroy & Boch
et Christian Haas : sa silhouette raffinée se marie à un relief délicat en premium
porcelain immaculé, ce qui a représenté un défi en termes de production. « Avec la collection Afina, je voulais créer une contrepartie à un monde de plus en plus numérique, explique Christian Haas. Afina est une expérience tactile au design inédit.
Son relief, son bord surélevé et sa fluidité captivante constituent une expérience
pour les sens au quotidien. Parallèlement, la forme originale des assiettes, inédite
jusqu’à présent, donne à la porcelaine un effet aérien. »
ESMA DEREBOY
Les services en porcelaine Esma Dereboy se caractérisent par leur simplicité et leur
caractère intemporel, combinant des coloris naturels : noir, ivoire, corail, roche…
Ils se marient ainsi aisément entre eux dans une multitude de combinaisons originales. Des articles complémentaires peuvent s’ajouter : saladier, plats de services,
tasses, etc. Esma Dereboy s’est formée à Kütahya, la capitale de la céramique en
Turquie, en participant à des formations de design classique et local. Les produits
articles de la marque sont aujourd’hui vendus à Hong Kong, en France, au Liban,
aux États-Unis, à Dubaï, en Jordanie, en Suisse, en Afrique du Sud et au Japon.