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Dossier
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Le Made in France reprend des couleurs
Injonctions à consommer français, accélération digitale induite par la fermeture des commerces, engouement pour une consommation locale… Les enseignes tricolores connaissent un pic de désirabilité. Illustration avec plusieurs initiatives qui ont fait de la fabrication française le cœur de leur réacteur.
La crise sanitaire et économique n’a pas seulement mis en lumière le tissu industriel français. Elle a aussi souligné sa vulnérabilité, et si ce deuxième confinement diffère du premier, ses effets inquiètent à plus ou moins long terme des industries déjà ébranlées par la première vague.
Le mot d’ordre est clair à Bercy : la relocalisation d’activités sur le territoire hexagonal est un axe fort du plan France Relance, qui consacre près de 35 milliards d’euros à l’industrie, avec pour piliers « décarboner, (re)localiser, moderniser et innover ». Le sujet de la fabrication en France est régulièrement enfourché par les politiques et les instances dirigeantes…
Et le fait de produire local se révèle finalement toujours en vogue en temps de crise. A l’heure où la question de la réindustrialisation de la France se pose une énième fois, il est à espérer que ce thème récurrent s’assortira d’une actualité nouvelle.
Toujours est-il que du côté des consommateurs français, ce serait presque une redécouverte de leurs entreprises qui s’est opérée lors du premier épisode de confinement. Avec des intentions claires : « 58 % des Français ont déclaré avoir renoncé à un achat au motif que l’origine du produit n’était pas française et 92 % favorisent un achat lorsque l’origine géographique est française », révèle une étude Ipsos/ Fimif de septembre 2020.
Même son de cloche dans l’étude Havas Shopper/Paris Retail Week, réalisée du 22 avril au 15 mai 2020, qui fait état de l’aura de la consommation locale, « avec 92 % de consommateurs français déclarant vouloir consommer plus qu’avant des produits nationaux ».
Et le patriotisme économique n’est pas seul en cause : acheter français rime avec proximité (l’assurance de circuits courts).
L’argument phare : « Acheter moins mais mieux »
L’appétence 2020 pour les marques tricolores, Pierre Joubert le mesure depuis le début de l’année. Avec Maxence Chabanne, poussé comme lui par de fortes convictions sur le made in France, il a fondé en 2016 le site marchand de produits 100 % français pour la maison et le jardin Un Coq dans le transat (mobilier, décoration, arts de la table, luminaires, articles pour enfants). « Nos ventes ont notamment augmenté de 20 % durant le confinement au printemps, avec une forte percée des produits dédiés au jardin/outdoor et de la peinture, un produit peu vendu sur le web. »
Fort de ses 27 000 clients actifs, Un Coq dans le transat référence uniquement les produits fabriqués en France. L’art de la table représente actuellement 15 % du catalogue, et Pierre Joubert espère étoffer cette catégorie dans les mois qui viennent.
Autre projet pour 2021, le développement du segment hygiène/beauté et consommables pour la maison, et l’ouverture de l’e-shop aux pays limitrophes (Belgique, Suisse, Luxembourg). « Nous souhaitons également trouver un associé en vue de structurer notre croissance et d’assumer celle-ci en gardant les mêmes qualités de service et proximité avec nos fournisseurs et clients », ajoute Pierre Joubert. La crise liée à l’épidémie de covid-19 a incité certains entrepreneurs à sauter le pas. Porté par Judith Lacroix et Chabane Debiche, le projet Ma Boutique française, par exemple, est né en juin 2020.
Objectif : digitaliser des créateurs français qui ne le sont pas et valoriser les acteurs investis dans la fabrication française. « Consommer français est une démarche responsable que nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir adopter, renchérit Léa Prevot, responsable communication digitale de Ma Boutique française. La crise de la covid-19 a amplifié cette prise de conscience. Les consommateurs sont davantage sensibilisés à la provenance en matière de shopping : “acheter moins et mieux” est une nouvelle tendance. » L’enseigne a lancé son e-shop en septembre dernier, avant d’ouvrir un magasin physique rue Hyppolite-Lebas à Paris le 16 octobre 2020. L’offre comprend pour l’heure 300 marques dans les catégories beauté, mode, accessoires, loisirs et décoration.
L’art de la table et le culinaire représentent 10 % de l’offre avec des acteurs telles que Pillivuyt, La Rochère, Cristel, Monbento. Et depuis novembre, Ma Boutique française propose également des créations solidaires de l’Atelier Emmaüs. La boutique physique est conçue comme un showroom, puisque tous les achats s’effectuent via la plateforme digitale. La livraison s’effectue en drop shipping ou en click and collect en magasin. C’est aussi le confinement qui a décidé Séverine Tréfouel à donner vie à son projet entrepreneurial.
Prônant également un shopping citoyen, elle a lancé il y a quelques semaines Simon-Simone, un concept-store qui réunit 400 produits conçus en France ou en Europe issus d’une cinquantaine de marques françaises. Le concept consiste là encore à « acheter moins mais mieux », et réduire l’impact carbone du transport grâce aux circuits courts, limiter le surstock grâce aux petites séries et à la précommande qui ajuste la production à la demande. Simon-Simone met aussi l’accent sur le service, avec un coaching déco gratuit avec un architecte d’intérieur, et la possibilité pour les visiteurs du site de cocréer les collections via une application permettant d’identifier et de développer les produits qu’ils préfèrent.
1970-2020 : L’USINE PYREX A 50 ANS
L’usine Pyrex est installée depuis 1970 à Châteauroux (Centre Val-de-Loire) où elle emploie aujourd’hui 380 personnes. Elle produit 44 millions de pièces en verre chaque année, soient 2,2 milliards de pièces en 50 ans. Il y a 3 ans, l’entreprise a investi 6 millions d’euros pour la reconstruction de son four dans un objectif d’économie d’énergie, de gain de productivité et d’amélioration de la qualité du verre. « Avec ses 14 m de long sur 7 m de large, d’une hauteur de 4 m, le four Pyrex est le plus grand au monde pour son type de verre, le borosilicate, et est unique en France.
Autre particularité notable, il fonctionne à 50 % avec de l’énergie hybride (50 % avec de l’électricité et 50 % gaz/oxygène), afin de diminuer son impact environnemental », précise-t-on chez Pyrex. La renommée de Pyrex repose sur la fabrication du verre borosilicate depuis 1922. Celui-ci se caractérise par sa polyvalence (un seul type de verre pour différents usages : cuire, congeler, réchauffer, emporter) et sa résistance. Un atout de taille dans la réponse aux besoins actuels des consommateurs et les nouvelles habitudes de consommation durable et responsable.
Avec Nou design, Hélène de Saint Pierre, experte en aménagement d’intérieur et architecte DPLG qui a travaillé avec l’antiquaire parisien Jean Gismondi, s’est pour sa part engagée pour le savoir-faire français avec un concept-store monoproduit. Nou design est en effet exclusivement dédié aux vases design fabriqués en France. La sélection est délibérément réduite, avec de petites séries ou des éditions limitées, fabriquées dans des entreprises familiales, des manufactures et des ateliers d’art. «“Le vase donne une forme au vide”, disait Georges Braque. C’est un complément qui donne un twist et le design a d’ailleurs sauvé bon nombre de ces manufactures et artisans français. Le concept de Nou design est de proposer une sélection de produits qui racontent une histoire et une culture, et de faire en sorte que ringard ne rime pas avec vases », détaille Hélène de Saint Pierre. Pour cela, cette dernière a composé une offre accessible, avec de nombreux produits inférieurs à 100 € et en optant pour l’achat de stock. Elle a en outre créé une rubrique écodesign afin de mettre en exergue les créations “slow design”, conçues dans des matières premières biosourcées, avec à un mode de production moins polluant, en accord avec les principes du développement durable.
Penser collectif
Pour sortir du confinement au printemps dernier, une vingtaine de points de vente physiques indépendants multimarques et multiproduits se sont unis.
Leur point commun ? Ils ont fait de la fabrication française leur signature. Ce Collectif des boutiques du made in France propose ainsi un écosystème destiné à « faire vivre une économie nationale, régionale, responsable et solidaire ».
Passer « d’une consommation lambda à une consommation responsable » justement, c’est ce qu’entend accélérer Charles Huet, président et cofondateur de La Carte française.
Cette carte-cadeau CB/Visa multi-enseigne est dédiée au made in France. Elle est valable dans un réseau constitué de marques fabricantes ou distributrices dont plus 70 % du catalogue sont constitués de produits fabriqués en France au regard du Code des Douanes. « Acheter français est à la fois un sujet de sensibilisation, de culture, et de montée en compétences du consommateur. Cela requiert une batterie de services et d’outils pour y parvenir, analyse Charles Huet. Il faut le vouloir, donc être conscient des impacts de ses choix de consommation et de son rôle en tant que consommateur. Il faut aussi le savoir, c’est-à-dire identifier le bon produit, puis le trouver : c’est tout l’enjeux de la distribution made in France, liée à l’émergence de l’e-commerce, et qui reste un vrai sujet sur la distribution physique. Il faut enfin le pouvoir, en résolvant une équation budgétaire qui induit de consommer moins. L’acte d’achat est un bulletin de vote simple et efficace, via lequel on choisit exactement le programme pour lequel on vote. »
En misant sur le marché de la carte
cadeau, Charles Huet entend aussi faire en sorte d’inclure le made in
France dans une manne de distribution dont il était jusqu’alors quasi
exclu. « La Carte française offre une voie alternative aux chèques cadeaux
multi-enseignes à dépenser chez des entités multinationales, qui étaient
presque le seul choix pour les comités d’entreprises et les élus syndicaux,
pourtant impliqués dans la lutte contre les délocalisations et le financement
de notre modèle social », explique Charles Huet. Et de souligner qu’en
termes culturels, une évolution s’est enclenchée grâce à la notion
de consommation locale qui a élargi le champ des interlocuteurs et
rendu plus désirable le made in France.
UNE IG POUR LE LINGE BASQUE
L’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) a officiellement homologué l’Indication géographique (IG) “linge basque” le 13 novembre 2020 (date de publication de l’avis au Journal officiel). L’IG distingue un produit originaire d’une zone géographique déterminée, qui possède des qualités, une notoriété ou des caractéristiques liées à ce lieu d’origine. Le Syndicat des tisseurs du linge basque d’origine est à l’origine de cette demande. Créé en 1953 et fédérant à l’époque une quinzaine de tisserands, il réunit désormais les derniers fabricants de linge basque : Tissage Moutet (atelier situé à Orthez), Tissages Lartigue et Lartigue 1910 (ateliers à Bidos et Ascain). Ces entreprises familiales représentent 50 emplois. « Notre démarche initiée depuis plusieurs années illustre notre volonté de protéger le linge basque, son histoire et son essence. Mais également de mettre en lumière un procédé de fabrication traditionnel local transmis de générations en générations, gage de la qualité unique de nos produits », commente Benjamin Moutet, président du Syndicat des tisseurs du linge basque d’origine.
A l’origine de cette toile emblématique aux rayures caractéristiques ? Une grande pièce de lin
aux rayures colorées appelée “mante”. Posée sur le dos des bœufs au XIXe
siècle, elle était
utilisée par les agriculteurs pour protéger ceux-ci de la chaleur et des insectes.
L’appellation commune “linge basque”, regroupant les toiles fabriquées en Béarn et au Pays
basque, sera adoptée au début du XXe
siècle. Outre garantir l’authenticité, l’origine et la qualité du linge basque, l’IG “linge basque”
permettra de se prémunir des contrefaçons ou des utilisations
abusives de l’appellation “linge basque”. Désormais, seuls les
produits tissés dans les Pyrénées-Atlantiques, et pas seulement
confectionnés, pourront apposer sur leurs étiquettes le logo de l’IG
et la dénomination “linge basque”.
L’IG couvre les deux étapes de fabrication du linge basque : le tissage
et ses différentes opérations ainsi que la confection des produits
finis. Cela concerne les tissus tissés à partir de fibres naturelles
de coton et/ou de lin, aux motifs traditionnels (rayures, armures,
couleurs et bayadères de couleurs) ou géométriques simples.
A noter par ailleurs que le Syndicat des tisseurs du linge basque
d’origine s’est engagé avec des agriculteurs dans une démarche
de réintroduction à partir de 2021 de la culture du lin dans les
Pyrénées-Atlantiques.
Le made in France est également au cœur du projet de plateforme de filière web to store porté par Francéclat et la Confédération des arts de la table (CAT). Désormais sur les rails, il bénéficie d’un financement de 354 000 € par Bpifrance, constitué à 50 % de subvention d’État.
Francéclat finance le projet à hauteur de 300 000 €. 54 000 € de fonds privés étaient en outre nécessaires : la CAT en a fourni la moitié, et les 27 000 € restants ont été réunis par le biais de souscriptions cet automne. Francéclat et la CAT ont donc créé la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Ensemble à table auquel s’adosse le projet.
Cette fin d’année est consacrée à la finalisation du cahier des charges, la plateforme technique devrait être installée au mois de décembre, avec la constitution de groupes pilotes dès janvier. Le lancement pour le grand public est programmé en juin 2021. Celle plateforme vise à donner envie aux consommateurs d’acheter des marques culinaires et d’art de la table françaises, valoriser ces dernières et drainer du trafic en point de vente en associant le réseau de distribution traditionnelle, et ainsi se démarquer de la concurrence. Seuls les produits d’art de la table, les articles culinaires, le linge de table et d’office, et les objets de décoration de table fabriqués en France y seront répertoriés.
Un site internet grand public, non marchand, mettra en relation l’internaute, les marques françaises et la distribution sélective. Un important dispositif de communication sera activé afin de générer du trafic d’internautes vers ce site internet, où le consommateur pourra choisir les produits et être orienté vers le point de vente le plus proche commercialisant l’article, à défaut vers l’e-shop de la marque. Les accroches marketing seront centrées sur le made in France et la créativité des petits fabricants.