Coutellerie française : panorama économique, enjeux et compétences

Offrir International : 

Quels enseignements tirez-vous de cette enquête relative à la coutellerie française ?

Stéphane Guillaumont : 

Cette étude, fondée sur les chiffres 2022, met en évidence que le secteur de la coutellerie française est caractérisé par une concentration importante, avec un nombre limité d’entreprises employant la majorité des salariés. Elle révèle un tissu dense d’entreprises mais très hétérogène, composé de 1 200 sociétés unipersonnelles (artisans, artistes couteliers), 113 entreprises avec un salarié ou plus et une trentaine de sous-traitants spécialisés. On comprend dès lors qu’avec une telle hétérogénéité, la fragmentation de la filière s’accentue : les besoins et les problématiques de développement ne sont évidemment pas les mêmes pour nos PME les plus grandes et nos artisans. 

La production française s’élève à 100 millions d’euros par an environ, dont une part importante est destinée au marché national. Les exportations représentent environ 28 % de la production, l’Europe et les États-Unis étant les principaux marchés. Elles n’affichent pas une augmentation significative mais les chiffres sont plutôt encourageants compte-tenu de la dimension et la nature des entreprises. C’est la raison pour laquelle la FFC souhaite renouveler la mission export cette année ou la suivante. Réputée pour sa qualité, son savoir-faire et son design, la coutellerie française jouit d’une image de marque reconnue à l’international. Par ailleurs, l’étude révèle que le chiffre d’affaires des sept premières entreprises représente plus de 51 % du chiffre d’affaires global : c’est dire la fragilité de nombreuses entreprises de notre filière. 

50 % des couteliers emploient entre 1 et 5 salariés, tandis que seules 23 entreprises ont plus de 20 salariés. Le chiffre d’affaires des couteliers est estimé à 278 millions d’euros en 2022, en croissance de 13 % par rapport à l’étude de 2018. La taille du marché français de la coutellerie est évaluée à 660 millions d’euros (prix consommateur), soit une progression de 10 % en euros courants par rapport à 2018. Ces chiffres sont cependant à interpréter avec prudence, car ils concernent 2022. Corrélé avec l’inflation subie entre 2018 et 2022, c’est très relatif, aux alentours de 2 %. De plus, depuis un an, le marché se contracte. La situation actuelle n’est donc pas tout à fait reflétée par l’étude qui est un instantané à fin 2022.

SOURCE

Panorama économique, enjeux de développement et compétences du secteur de la coutellerie en France – rapport complet – 11 décembre 2023. Cette étude de la FFC a été réalisée avec le concours de l’UIMM Auvergne et financée par l’Observatoire des métiers de la métallurgie. Flashez ce QR code pour accéder à l’intégralité de l’étude.

À quels enjeux est aujourd’hui confrontée la filière ? 

Le maintien et la transmission du savoir-faire, essentiels pour préserver la qualité et l’identité de la coutellerie française, sont un sujet de préoccupation. Les couteliers sont en effet face à des difficultés de recrutement et de formation ainsi qu’au vieillissement de leurs collaborateurs, même si l’orientation s’améliore avec l’arrivée de jeunes salariés. Côté recrutement, les tensions concernent principalement les métiers de la production, notamment ceux particulièrement présents dans la coutellerie (polisseur, outilleur, etc.). Le secteur doit donc se moderniser et améliorer l’attractivité de ses métiers. Autre point d’attention, une concurrence internationale forte, avec une hausse de 72 % des importations depuis 2018. 

Si la période covid-19 avait ralenti l’entrée de l’Asie sur le marché français, au bénéfice de la fabrication française, force est de constater que cela ne s’est pas maintenu avec la fin de la pandémie. Les importations sont originaires de Chine à 63 % (+ 2 points entre 2018 et 2022), et nous notons l’arrivée de Taïwan dans le palmarès. Enfin, l’innovation est indispensable pour répondre aux nouvelles attentes des clients. En ces temps de pouvoir d’achat contraint, et malgré une inquiétude générale, les perspectives ne sont pas négatives pour la filière. Oui la vente au détail accuse une baisse, néanmoins le made in France a une vraie portée, c’est indéniable quelle que soit la taille de nos entreprises, mais pas à n’importe quel prix. La coutellerie française est dynamique du fait de la diversité de sa proposition. Il existe un choix considérable en France sur nos typologies de produits, ce qui n’est pas le cas de tous les pays. 

La France est trop restée sur son marché ces dernières décennies, mais cela a créé une hyperspécialisation avec pléthore de couteaux régionaux… La France a un rapport au couteau en général qui est vraiment particulier, avec une diversité de propositions incroyable. Le taux d’équipement sur notre marché national est dantesque mais la force de nos entreprises réside dans leur capacité à proposer des produits qui vont au-delà de l’usage : ce n’est pas parce qu’on n’a pas besoin d’un couteau qu’on ne l’achète pas. Le couteau est dans les foyers et la poche des consommateurs qui ont un rapport incroyable à cet objet. Cela ne retire rien aux difficultés actuelles mais les entreprises peuvent compter sur leur capacité à proposer un produit qui parle aux clients.

LA COUTELLERIE EN FRANCE : CHIFFRES CLÉS

• 113 entreprises de coutelleries + 1 200 entreprises unipersonnelles (artisans, etc.) + 30 sous-traitants spécialisés ; 

• 51 % du chiffre d’affaires de la filière est réalisé par 7 entreprises ; 

• Taille du marché français de la coutellerie : 660 millions d’euros TTC (prix consommateur). 

• 4 territoires (bassins thiernois, laguiolais, Rhône-Alpes, Île-de-France) concentrent 90 % des emplois et du chiffre d’affaires en France ; 

• les 113 principales entreprises représentent 1 600 emplois et 278 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulés.

RÉPARTITION DU CHIFFRE D’AFFAIRES 2022 DES COUTELIERS PAR CATÉGORIE DE PRODUITS

Quels sont les axes de développement pour le secteur ?

Les couteliers interrogés dans le cadre de l’étude en soulignent principalement quatre. Le premier concerne le développement de relais de croissance en augmentant le chiffre d’affaires à l’export, avec par conséquent un déploiement de la capacité à adresser les marchés internationaux. Le deuxième est relatif à la transformation numérique des entreprises, avec l’intégration de technologies dans l’outil de production, ainsi que l’élaboration d’une nouvelle approche marketing et commerciale : stratégie de vente en ligne, référencement, etc. Autre levier, la modernisation de l’appareil de production pour améliorer la performance industrielle et la compétitivité. Enfin, attirer de nouveaux talents et garantir la transmission des savoir-faire impliquera nécessairement de la formation et le développement des compétences. 

Concernant les prochaines actions de la FFC, il y a bien entendu le renouvellement de la mission export, mais aussi un travail en partenariat avec Francéclat afin de sensibiliser les entreprises coutelières au bénéfice d’intégrer le design dans leur activité et de proposer des solutions quelle que soit leur taille. Rappelons enfin que toutes les solutions aux enjeux ne peuvent émaner de la seule FFC qui n’est pas une fédération très puissante. Elle regroupe environ 80 adhérents, et est animée majoritairement par des dirigeants bénévoles. Cette nouvelle étude nous permet de connaitre le nombre de couteliers sur le territoire afin de prendre contact avec eux pour les inviter à adhérer. Cela représente un investissement 150 € par an pour un indépendant à 2 500 € pour les plus grosses entreprises. Si nous, couteliers, voulons avoir un poids, il nous faut nous regrouper pour travailler ensemble.

RÉPARTITION DU CHIFFRE D’AFFAIRES 2022 DES COUTELIERS PAR CANAUX DE DISTRIBUTION

TOP 10 DES MÉTIERS D’IMPORTATION

TOP 10 DES PAYS D’EXPORTATION (QUI REPRÉSENTE 66,5 % DU TOTAL DES EXPORTATIONS)