La place de l’offre cadeau a changé. Il s’agit davantage aujourd’hui de (se) faire plaisir que d’off
Encouragés depuis plusieurs années par des émissions venue démystifier ce sport sacré à l’instar de Top chef ou du Meilleur pâtissier, les Français ont investi leur cuisine. Les confinements successifs ont fait de cette pièce singulière un refuge pour le monde entier. Après une explosion des ventes dans le segment cuisson, le secteur affronte une accalmie relative. Retour sur deux années riches d’enseignement.
Gâteaux, recettes traditionnelles du terroir ou plus lointaines et du pain, beaucoup de pain… Une étude Santé publique France publiée en mai 2020 suggère que plus de 30 % des Français ont cuisiné davantage à la maison durant cette même année. Et pour cause, coincés chez soi, souvent angoissé et sans activité, chacun avait besoin de trouver du réconfort.
L’impérieuse nécessité de se faire du bien a d’ailleurs été très largement nourrie par les réseaux sociaux devenus dès lors une véritable source d’inspiration.
Pour nous aider à diversifier notre alimentation, mais aussi pour stimuler nos papilles et notre créativité durant ces longues semaines, de nombreux chef-restaurateurs ont mis leur temps libre à profit pour partager leurs trucs et astuces de pro.
C’est le cas de Juan Arbelaez, pour ne citer que lui, qui, bien décidé à faire nous de véritables apprentis cuisiniers, a multiplié les recettes et tuto destinés aux particuliers.
À l’arrivée du printemps, l’engouement est tel que TMC est allé jusqu’à proposer au jeune chef d’origine colombienne de donner une plus large audience à son art au travers un partenariat visant à diffuser sur la chaîne une trentaine de tutos d’une minute entre le 18 mars et le 8 mai 2020.
Mais malgré la volonté des chefs et influenceurs de proposer des recettes faciles à réaliser et la détermination des internautes bien décidés à devenir des maîtres queux, nombre de ces derniers ont vite été forcés de constater que le menu serait limité faute d’ustensiles adaptés.
Ce besoin a d’ailleurs rapidement trouvé une traduction concrète dans un boom des ventes en ligne des ustensiles de cuisine et de pâtisserie. De mars 2020 à la fin de l’année dernière, casseroles, faitouts, marmites, cocottes, woks et moules en tous genre ont eu le vent en poupe.
Les fabricants et les distributeurs font état d’une augmentation des ventes de 2020 avoisinant les 35 % par rapport à 2019 et la tendance se poursuit l’année suivante. « Certaines références se sont démarquées mais pour être honnête, tout se vendait. Les ventes de certains produits ont connu une nette accélération alors même que ces mêmes articles ne suscitaient que peu d’intérêt pour les consommateurs quelques mois auparavant. Les offres commerciales sur les produits devenaient alors superflues », explique Pierre-Yves Magnan, directeur achat du revendeur multimarque Mathon.
Priorité au made in France
« Dès les premiers jours de confinement, nous avons été très surpris par l’engouement des particuliers pour les batteries de cuisine. Ils se sont équipés pour se réapproprier leur mode d’alimentation en se dirigeant tout de suite vers des objets plus durables, plus écoresponsables et tant que faire se peut fabriqués en France. C’est ce que Zwilling, Staub, Ballarini et Demeyere proposent », explique Nathalie Chabert, directrice marketing de Zwilling Staub France.
Et de poursuivre : « Le made in France était une tendance de fond. Elle a été accentuée par la pandémie dans un souci de proximité, de souveraineté et pour la qualité du savoir-faire hexagonal. Les Américains, les Canadiens, les Japonais ont connu ce même phénomène de rééquipement mais, friands de notre savoir-faire, ils se sont fournis chez nous. Une aubaine pour nous puisque l’Europe demeure, malheureusement, un tout petit marché en comparaison. »
Le témoignage de Mickael Gouin, directeur commercial du groupe Louis Tellier, fait écho à cette analyse :
« Le moule à pain de mie a été notre best-seller mais globalement tous nos moules en fer blanc, fabriqués à Joué-les-Tours, se sont vendus comme des petits pains. Le catalogue du groupe est composé de quatre marques : la jocondienne Gobel, spécialisée dans le matériel de pâtisserie depuis 1889, la francilienne Louis Tellier, fabricant d’ustensiles de préparation culinaire depuis 1947, et deux marques de négoce La Bonne Graine et Yoocook. Avant la pandémie, nous avons entrepris une diminution drastique du nombre de nos références pour revenir progressivement à un catalogue essentiellement made in France. La démarche RSE que nous avons entrepris en 2018 a été conforté par les différentes crises. »
Pierre-Yves Magnan (Mathon) dresse le même constat : « Les marques françaises telles que Cristel, De Buyer, etc. ont largement été plébiscitée par les consommateurs pendant cette période. Les ustensiles de fabrication française destinés à une clientèle avertie ont fait mouche. Réindustrialisation, relocalisation, circuits courts, savoir-faire : ces termes étaient déjà à la mode mais, la crise sanitaire a fait du made in France une cause majeure. »
La minute cocotte
Elle a permis aux marmitons confinés d’assouvir toutes leurs tentations et répond aux exigences de nos nouveaux mode de consommations : la cocotte est la star de l’offre cuisson pour cinq raisons.
• Économique. Ovale ou ronde classique, ce seul ustensile permet de cuisiner de la viande, du poisson, des plats en sauce en grande quantité, des gâteaux et même du pain.
• Robuste. Avec un alliage composé d’acier et de carbone, la pièce maîtresse des fourneaux jouit d’une résistance à toute épreuve et d’une grande longévité. Fières de cette combinaison gagnante, certaines marques, à l’instar de Staub ou Le Creuset, n’hésitent pas à les garantir à vie.
• Polyvalente. Les nouvelles cocottes en fonte sont généralement compatibles avec toutes les sources de chaleur. Elles passent au four, sur les plaques de cuisson, y compris à induction et même sous le gril.
• Tendance ! Exit la cocotte de grand-mère. Si leur design est résolument vintage, il se décline dans une palette de couleurs acidulés pour plaire à tous et sublimer les recettes.
• Recyclable. Avec la fonte, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Si une mauvaise utilisation la rendait hors d’usage, la cocotte serait fondue, recoulée dans un moule et poncée avant d’être réemployée dans un cycle infini.
Une accalmie multifactorielle
Mais depuis le début de l’année 2022, le vent semble avoir tourné pour l’offre cuisson. Qu’ils soient détaillants ou fabricants, tous s’accordent à dire la situation n’est pas exclusivement due au manque de perspectives lié à l’offensive russe en Ukraine mais plutôt multifactorielle pour la simple et bonne raison que la courbe des ventes s’était aplanie, puis inversée avant le 24 février dernier.
Lorsqu’on interroge Nathalie Chabert sur la raison principale de ce revirement, elle répond du tac au tac : « Pour commencer, il n’y a pas d’obsolescence programmé sur une cocotte. Le temps glisse sur elles. Et pour preuve, les cocottes font souvent l’objet d’une transmission. Même nos casseroles en aluminium revêtus d’un antiadhérent sont garanties 10 ans. »
C’est un fait, le marché évolue avec les nouvelles tendances de consommation. Les Français ont décidé d’investir dans des ustensiles de cuisine de qualité, conçus pour durer parce que fabriqués à partir de matériaux et de métaux solides, résistants au feu et à la chaleur à l’instar du cuivre mais aussi du fer blanc, de la fonte, de l’aluminium, de l’inox, ou encore de la céramique.
Aussi, une fois qu’un foyer dispose des basiques : batterie de cuisine en inox, plats en fonte etc., il n’y a pas de raison qu’il se rééquipe régulièrement. Mickael Gouin estime que « dès la fin de l’année 2021, nous sentions au travers des échanges clients que le taux d’équipement était élevé ».
Pour le directeur commercial du groupe Louis Tellier, « il faut se réjouir d’avoir su tirer profit de ce cette période si particulière et se dire que, si l’intérêt pour l’offre cuisson s’estompe, nous restons à un niveau bien supérieur à 2019 ». Sans laisser entendre un quelconque désir de reconversion, il conclut : « Le secteur porteur aujourd’hui, c’est la bagagerie ! » Mais le taux d’équipement et le choix de la durabilité n’expliqueraient pas tout. La baisse de la consommation pourrait être conjoncturelle et particulièrement conditionnée par les échéances électorales.
« Tous les cinq ans, durant les quatre ou cinq mois qui précèdent l’élection présidentielle, nous assistons à une forme d’attentisme sur le marché français. Les consommateurs préfèrent être précautionneux. Généralement, l’activité repart juste après la campagne, mais force est de constater qu’avec le conflit à l’Est, l’inflation continue et généralisée, cette année est l’exception qui confirme la règle » explique Pierre-Yves Magnan.
Passer ensemble le creux de la vague
A toutes ces raisons précédemment citées, s’ajoutent effectivement l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat. Depuis la pandémie, presque tout augmente. La hausse généralisée des prix pourrait même atteindre 7 % à la rentrée. Un record jamais atteint depuis 1985 qui contraint les consommateurs à hiérarchiser leurs besoins et ce d’autant plus quand les loisirs reprennent pour une durée indéterminée.
dDès lors, la parfaite maitrise de la cuisson de notre alimentation n’est plus une priorité. D’autant que la guerre entre la Russie et l’Ukraine a eu pour conséquence directe une flambée sur le cours de l’énergie et des matières premières et les prix des métaux se sont envolés. La tension sur le nickel dont la Russie est un important producteur fait grimper le cours de l’inox, un des matériaux les plus plébiscités pour des ustensiles de cuisson aussi sains que performant.
C’est parfois même la double peine pour certaines marques, à l’instar de Gobel, qui en plus de la hausse du cours des métaux font face à des pénuries. « Forts de l’expérience covid et pour éviter d’avoir de nouvelles difficultés d’approvisionnement dans nos matières premières et répondre à la forte demande des distributeurs et des clients, nous avions pris l’initiative, dès novembre 2021, de stocker l’équivalent de notre besoin annuel en fer blanc et en antiadhérent, stratégie que nous n'avons pas pu mettre en place sur nos autres matières, faute d’espace. Résultat, le groupe a dû faire face à des ruptures conséquentes, aujourd’hui en passe d’être totalement résolues. La crise en Ukraine a créé des pénuries que nous n’avions pas forcément anticipées et les prix ont véritablement explosés. C’est + 45 % pour l’inox et + 75 % pour l’aluminium », explique Mickael Gouin.
Pierre-Yves Magnan dresse le même constat : « Au plus fort de la pandémie, nous avions commencé à diminuer nos marges. La tension était telle que le coût du transport avait été multiplié par six ou sept et il était impensable de répercuter cette hausse sur nos produits. D’une part nos clients n’auraient pas suivi, d’autre part nous nous attendions à un retour à la normale mais l’offensive en Ukraine est arrivée avec de nouvelles hausses. Cette fois-ci, ni les fabricants ni les distributeurs ne peuvent les absorber. »
Chez Casseroles and Co, Valérie Bignon est très reconnaissante de la bienveillance de certains fabricants : « Tout le secteur doit s’entraider. Je remercie vivement ceux qui tentent d’absorber. Ça ne sera pas toujours le cas et si les prix fabricants augmentent trop, il m’arrivera sans doute de devoir faire l’impasse sur certaines références par crainte de ne pas les vendre. »
Outre la non-répercussion des hausses des matières premières, certains fabriquant vont même plus loin pour donner un coup de main à leurs distributeurs et passer, ensemble, ce creux de la vague. C’est notamment le cas de Beka qui occupe une place prépondérante dans l’offre cuisson. « Durant la pandémie, Beka a su trouver des solutions pour répondre aux besoins en trésorerie de ses distributeurs. Aujourd’hui, la marque stimule le passage des clients dans les boutiques de ses distributeurs en mettant en place, à ses frais, des campagnes publicitaires d’offres promotionnelles », précise Philippe Gelb, directeur France de Beka.
Malgré une accalmie relative, les fabricants et les détaillants ne sont pas défaitistes pour autant. « La grille de lecture devrait être moins floue à la rentrée de septembre et les mesures prises par le Gouvernement pour soutenir le pouvoir d’achat des Français face à la fausse de l’inflation permettront sans doute de rassurer les consommateurs », confie Nathalie Chabert.
D’autant qu’il faut savoir raison garder. Si aujourd’hui l’engouement pour l’offre cuisson semble s’essouffler, cette accalmie n’est réelle qu’en comparaison avec les deux années exceptionnelles que le marché vient de traverser mais, les chiffres de 2022 demeurent malgré tout bien au-dessus que ceux de 2019.
Force est de constater que nous ne sommes pas prêts à quitter nos tabliers.
Le pain raconte une société
Est-ce pour son symbole de vie, pour la simplicité de sa recette ou parce que le prix des céréales et du blé en particulier, que les Français se sont pris de passion pour le pain ? Pour les familles nombreuses, l’argument du pouvoir d’achat explique souvent la fabrication maison du pain mais le besoin de retour à une forme de slow life où l’on prendrait le temps de pétrir et de voir lever la pâte explique aussi l’engouement pour cet aliment de base de la nourriture occidentale. Ces derniers temps, les ventes des ustensiles dédiés au pain augmentent. Ce n’est pas la première fois que les fabricants et les détaillants de l’offre cuisson font face à ce regain d’intérêt. Par peur de contracter le virus chez le boulanger, élevé au troisième rang des professionnels les plus à risque pendant la pandémie, les consommateurs avaient déjà pris de nouvelles habitudes.
Cette fois ci, pour pallier l’augmentation des prix, certains décident d’investir dans une machine à pain (MAP, pour les initiés). Mais pour les puristes, qui préfèrent mettre la main à la pâte, c’est plutôt la cocotte en fonte qui l’emporte. D’ailleurs, il n’y a pas que la miche. « Depuis quelques temps, on remarque un intérêt grandissant pour le pain de mie. Le moule à pain de mie avec couvercle 25,5 x 9 x 7 cm de chez Gobel continue de performer. Mais globalement, tout ce qui a attrait au pain fonctionne très bien. Le pain a quelque chose de magique et symbolique. Il raconte une société. Qu’il s’agisse de la traditionnelle baguette, de la miche ou du pain de mie, les consommateurs ont d’une part réalisé le budget qu’il y consacrait en allant chaque jour à la boulangerie, d’autre part à quel point l’exercice était à la portée de tous », décrypte Pierre-Yves Magnan (Mathon).
La rencontre avec la génération Y
Tous les acteurs de l’offre cuisson se mobilisent pour que le quatrième trimestre inverse la tendance. « Entre Maison & Objet en septembre et les fêtes de fin d’année, le dernier trimestre est souvent décisif. On ne désespère pas. D’autant que le salon international sera pour nous l’occasion d’échanger avec la génération Y, très différenciante des précédentes dans ses modes de consommation. » se réjouit Philippe Gelb.
Depuis des années, les marques tels que Beka, De Buyer, Staub, Le Creuset, Cristel et bien d’autres, s’évertuent à promouvoir la qualité, le savoir-faire, la performance, la résistance de leurs produits.
La crise sanitaire leur a permis de rencontrer une nouvelle génération de « consom’acteurs » ainsi que Damien Dodane, directeur général délégué de Cristel, aime à les appeler. « Ils comprennent qu’à travers leur mode de consommation, ils ont le pouvoir de faire bouger les lignes », explique le directeur général de Cristel dont le taux d’intégration industrielle est très élevé dans cette industrie puisqu’il dépasse 90 %. « Les planètes se sont enfin alignées.
Alors que les babyboomers étaient finalement peu regardants sur la provenance ou les caractéristiques produit des consommables qu’ils achetaient, les milléniaux, eux, ont malgré leur jeune âge déjà traversé plusieurs crises qui ont eu l’effet bénéfique de les sensibiliser à différents enjeux. Ils portent un regard plus attentif et souvent critique sur le gaspillage et la surconsommation. La question de la durée de vie du produit, de son renouvellement, de son recyclage ou de sa mise au rebut devient une préoccupation importante. Ils partagent nos valeurs et voient ces achats onéreux, qui les poussent parfois à certaines concessions, comme des investissements. Sans compter qu’ils bénéficient avec nous du service après-vente d’une maison de luxe. Comme vous feriez restaurer la bandoulière abimée d’un Birkin chez Hermès, chez Cristel vous pouvez donner une seconde vie à vos ustensiles usagés avec le rechapage du revêtement antiadhérent. »
L’offre cuisson peut avoir de belles surprises avec ce nouveau public, notamment à l’occasion des fêtes de fin d’année. Une chose est sûre : le rendez-vous est pris avec les milléniaux.