Dossier

''Le Click & Collect est bel et bien entré dans les mœurs et c'est une bonne nouvelle''

12 avril 2021
Par : Sophie KOMAROFF

Quels changements la crise covid-19 a-t-elle induit dans le parcours d’achat client pour la filière arts de la table ? Quelle est la stratégie de l’action collective en la matière ? Réponses et analyses avec Thierry Villotte, président de la Confédération des arts de la table (CAT).

Offrir International : Quelles sont selon vous les évolutions les plus significatives de ces derniers mois en matière de parcours d’achat ?

Thierry Villotte : Un des phénomènes les plus flagrants à mes yeux est la conversion au click & collect d’une partie de la population qui n’utilisait pas ce service. Cette évolution importante est une bonne nouvelle pour la filière. Si cette pratique est effectivement courante pour les achats d’articles culinaires, les arts de la table souffrent davantage de freins à l’achat online, car les consommateurs ont besoin de voir et toucher les produits. Il y a désormais un vrai frémissement. C’est un facteur intéressant de la notion d’achat qui permettra de rebondir sur l’e-réservation, une pratique non engageante. 

Plus fondamentalement, les consommateurs ont réinvesti leur domicile, se sont réconciliés avec les arts ménagers, y compris l’art de la table, avec de réelles envies d’achat. C’est pourquoi les chiffres d’affaires sont globalement bons. Je pense que cette tendance sera pérenne. Par ailleurs, il y a une prise de conscience sur le made in France ou au moins la production proche. Un attachement évident vis-à-vis des produits tricolores s’est dégagé, poussé par un discours politique fort en faveur de la production française. Je ne peux prédire si cela perdurera face à un facteur prix et un principe de réalité indéniables. C’est en tout cas à nous, collectivement, d’essayer d’entretenir ce sentiment.

Qu’avez-vous décidé de mettre en place ou d’ajuster au niveau de l’action collective ? 

Si l’un des principaux chantiers a été la refonte de la communication, nous avons surtout essayé de répondre aux urgences liées à la situation économique et aider les acteurs de la filière à bénéficier des aides de l’État. 

Par ailleurs, nous nous sommes efforcés d’aider les points de vente à se digitaliser au sens large, avec des webinaires, des formations à la prise de rendez-vous, au shopping one to one et au commerce conversationnel au cas où un nouveau confinement serait instauré. 

Par ailleurs, fin 2020, Francéclat a mis en place Digi 1000, une subvention à la transition numérique à destination de la distribution spécialisée des filières horlogerie, bijouterie-joaillerie et arts de la table. Ce dispositif permet le versement d’une aide à hauteur de 1 000 € aux 300 premiers distributeurs spécialisés qui ne sont pas en procédure collective et qui sont engagés dans un parcours numérique, à condition qu’ils investissent eux-mêmes 1000 € au minimum dans cette démarche. 

Enfin, évolution majeure, les commerçants ont désormais tous pris la mesure de la nécessité de digitaliser leur point de vente. Ils ont compris que ce n’était pas réservé aux grandes entreprises, mais que c’est possible pour un coût modique, la principale difficulté étant de réunir les données.

Où en est le projet de plateforme web to store des arts de la table et des articles culinaires ? Quelles seront les phases de ces prochains mois ? Quels seront les bénéfices pour le parcours d’achat client ? 

Ce projet comprend d’une part la plateforme présentant l’offre produits made in France destinée à orienter les consommateurs vers les boutiques, d’autre part la possibilité de transfert de catalogue entre les fabricants et les détaillants, dans un périmètre qui n’est pas limité aux produits made in France. 

Sur la plateforme grand public, les internautes ne verront que les produits fabriqués en France et pourront les e-réserver, avec pour bénéfice la découverte de produits qu’ils auraient eu du mal à découvrir en boutique tout en les orientant sur celles qui les référencent. L’e-réservation n’est pas un acte engageant pour le consommateur. L’objectif est avant tout qu’il se déplace en magasin et que ce dernier réalise le chiffre d’affaires. L’engagement du consommateur a ainsi lieu en boutique, ou avec le commerçant s’il convient avec lui de se faire livrer. 

Le second volet que beaucoup prenaient pour un accessoire il y a 9 mois ou 1 an va prendre tout son sens. Il permettra de présenter au consommateur un produit non physiquement présent en magasin et de le lui fournir. De plus, un commerçant qui veut faire un e-shop a besoin de visuels, des dimensionnels, de données multiples. Le fabricant mettra ainsi à disposition toutes ses fiches articles à disposition des détaillants avec lesquels il est en relation commerciale. Celui-ci pourra les utiliser pour développer son site web et digitaliser son point de vente… Cela permettra aux boutiques les plus dynamiques de présenter avec un device tous les articles dont le consommateur a envie, avec toute la richesse du digital : vidéo, photographies sous tous les angles… La plateforme permettra aux petits et moyens fabricants et aux boutiques qui ne peuvent accéder de par leur coûts aux services de GS1 de proposer un catalogue élargi et de commander pour leurs clients les articles qu’ils n’ont pas en stock. Cela remplacera intelligemment le catalogue papier rangé sous la caisse.

Le projet est structuré par la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Ensemble à table. Pour bénéficier de ses services, il faut détenir une action (500 €) au minimum. Un groupe de travail réunissant les 25 membres fondateurs (dont la CAT, Francéclat, tous les syndicats professionnels de fabricants, la Fédération française de l’équipement du foyer, EK France, quelques points de vente) s’emploie à prendre les options sur le design du site, l’aspect commercial, etc. A date, nous sommes toujours dans les temps pour une mise en ligne à l’été 2021. Nous avons de plus soumis le parcours client de la plateforme à un panel de consommateurs, aux distributeurs et aux fabricants actionnaires fondateurs. Les premiers retours révèlent que l’e-réservation n’est pas encore suffisamment claire dans l’esprit de tous les consommateurs. Nous accentuerons donc la pédagogie sur cette notion. Nous relevons également une constante : tous les candidats testeurs reviennent instinctivement à la logique d’Amazon (place des critères de recherche, etc.). Pour le consommateur, c’est une référence. Il faut donc que nous réintégrions certaines de ces logiques dans le parcours d’achat mais sans y coller car la plateforme ne sera pas un site marchand.

Une autre application pour la plateforme sera, à long terme, l’organisation de la deuxième vie des produits, une attente qui monte en puissance.

Le contexte de fermeture des restaurants est-il impactant selon vous sur le parcours d’achat des produits d’art de la table ? 

Par définition, la fermeture des restaurants induit une exposition moindre des produits de la filière. Les articles français y sont assez bien commercialisés, moins dans le grand public : ils bénéficiaient d’une vitrine – les restaurants – qui est close. 

Cette situation renforce deux convictions : la plateforme web to store procurera une visibilité nécessaire, et notre vœu de mettre en place à l’horizon 2022-2023 le restaurant-to-store lorsque le projet aura pris de l’ampleur. Il s’agira d’orienter le consommateur du restaurant vers la boutique. Le modèle économique n’est pas bouclé mais la logique pourrait être que le restaurateur commande pour son client le produit qui serait disponible dans la boutique près de chez lui (la boutique ferait le chiffre d’affaires) ou sur l’e-shop du fabricant avec livraison à domicile (le fabricant ferait le chiffre d’affaires). Le consommateur serait dégagé de l’étape commande et le restaurateur aurait une possibilité de chiffre d’affaires additionnel sans gestion de stock. La question du partage de la marge entre les différents acteurs reste à définir.

Quelle est l’avancée du programme de formation en e-learning du personnel de vente ? Quel en sera le contenu et quand sera-t-elle opérationnelle ? Pour quel coût pour les commerçants ? 

En raison de la crise covid-19, ce projet n’a pas été prioritaire. Ce programme comportera 4 volets orienté sur les conseillers de vente : 

> découverte de la filière, avec un parcours art de la table (définition, notion de repas gastronomique des Français, histoire de l’art de la table à la française, dresser une table, art de recevoir, faire du mix & match) et un autre culinaire (les grands principes et les fondamentaux de la cuisine) ; 

> découverte des produits : décliné en 2 parcours (table et cuisine), non pour faire des vendeurs des spécialistes de la fabrication mais pour qu’ils comprennent les critères différenciants de qualité sur un produit, pour qu’en magasin ils expliquent les spécificités d’un produit, une différence de prix, etc. ; 

> les techniques de vente : recevoir le client, lui faire formuler son besoin et reformuler celui-ci, argumenter, traiter les objections du client, faire de l’upselling, du cross-selling, etc. : autant de techniques basiques mais indispensables. En préambule, un test de connaissances sera effectué et, selon les résultats, le niveau des modules sera plus ou moins détaillé ; 

> le merchandising : une présentation des fondamentaux, mais sans exhaustivité car très intimement lié à l’enseigne et le positionnement du point de vente. 

Nous avons recensé 250 modules à produire, et 43 sont prêts. Un grand chemin reste à parcourir mais nous n’ouvrirons pas ce programme tant qu’il sera incomplet pour ne pas être déceptif. Aucune date n’est définie pour le moment. 

La question du coût n’est pas résolue mais nous demanderons que cette formation soit agréée pour être déclenchée soit par l’employeur dans le cadre de la formation professionnelle soit dans le cadre du CPF. Nous souhaitons de plus que le coût diffère selon que l’entreprise est adhérente ou non de la CAT.

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