Dossier

Notoriété de marque : des enjeux plus cruciaux que jamais pour les fabricants

21 mars 2024
Par : Sophie KOMAROFF

En collaboration avec Opinionway, Francéclat a mené une étude de notoriété en septembre 2023 relative aux filières bijouterie, horlogerie et art de la table. Celle-ci dresse le panorama des acteurs de référence vus par 2 000 consommateurs, tant en matière de notoriété spontanée que de notoriété assistée. Elle souligne un réel enjeu de présence à l’esprit des marques de fabricants, au profit des marques retail, c’est-à-dire des enseignes. Décryptage avec Hervé Buffet, délégué général de Francéclat.

Offrir International : Quels principaux enseignements tirez-vous de cette étude?

Hervé Buffet : Cette enquête est instructive à plusieurs égards car elle concerne trois univers différents – l’art de la table, la bijouterie et l’horlogerie – offrant ainsi des points de comparaison. Pour l’horlogerie, il ressort que les marques de fabricants sont naturellement reines puisque par définition le cadran de toute montre – son visage – est marqué. C’est un élément de communication fort. Par conséquent ce secteur est celui sur lequel les marques ont le plus d’empreinte.

Dans les filières bijouterie et art de la table, le constat est plus surprenant, avec la montée des marques retail. En bijouterie, il est aisé de comprendre que leur poids soit fort, celui des marques sur le marché étant moindre : historiquement, environ 70 % des bijoux étaient non brandés : un(e) client(e) qui achète une paire de créoles par exemple, n’est pas en recherche d’une marque particulière, mais d’une paire de créoles sur laquelle il n’y a pas forcément la place pour mettre une marque. La marque retail arrive ainsi dans l’esprit du consommateur comme un point de référence où il a réalisé son achat : celui qui a vendu le produit devient en quelque sorte la marque.

En art de la table, le constat est plus étonnant : l’offre est brandée et comptabilise de nombreuses marques – y compris de distributeurs – et pourtant c’est le même phénomène qu’en bijouterie qui est observé, à savoir une forte présence des marques retail, en considérant qu’Ikea ou Maisons du monde sont des marques de retailers et pas forcément des marques de fabricants au départ.

Deuxième point de convergence entre les filières bijouterie et art de la table en termes de benchmark : les marques univers s’imposent sur le podium et dans les classements de manière déconnectée de leur poids économique réel dans nos catégories de produits. Les marques Dior et Louis Vuitton, par exemple, se distinguent dans le classement en bijouterie alors qu’il existe des acteurs bien plus importants, grâce à un effet de halo propre à la dynamique globale de ces marques. Le phénomène est similaire avec Ikea et Maisons du monde qui proposent un univers large dont l’art de la table n’est qu’une composante. La notoriété de ces marques dépasse, voire écrase celle de marques uniquement dédiées à cette catégorie de produits.

L’étude met également en évidence un manque de visibilité de la production haut de gamme vers les CSP+ et la génération Z, chez laquelle l’intention d’achat est pourtant forte. Il y a donc un vrai travail à mener auprès de cette cible de séduction et de transmission des valeurs. Ce qui fait la force de Dior ou Louis Vuitton en bijouterie, c’est justement d’avoir su se ressourcer en utilisant des réseaux tels que TikTok ou Instagram pour ancrer leur visibilité auprès des jeunes générations, alors même que plusieurs grandes marques de joaillerie ne sont pas vraiment captées par la Gen Z.

Alors, au-delà du podium et du côté satisfaisant d’en être ou désespérant de ne pas en être, il y a des enseignements à tirer de ces constats afin d’enrichir son approche et sa stratégie à l’adresse de sa cible naturelle, les CSP + (pour les fabricants français) et la Gen Z qui regroupe la clientèle un peu d’aujourd’hui et surtout de demain. C’est cette dernière notamment qui fait ressortir des marques qui ne sont pas issues du secteur, à savoir celles du retail mais aussi Amazon Basics qui remonte grâce à un effet de halo généré par l’univers englobant d’Amazon.

Comment expliquez-vous ces phénomènes ?

Notre secteur revêt une dimension paradoxale : s’il réunit de très belles marques avec un storytelling formidable, un patrimoine incroyable de formes créées, il est confronté à une difficulté liée au poids moyen de ses entreprises et à leur capacité à faire vivre leur image de marque auprès de la population au sens large.

L’art de la table présente aussi une spécificité en s’adressant à deux cibles différentes que sont le grand public et le CHR. Si ce dernier assure une certaine visibilité aux marques au sein des établissements, les entreprises ont aussi des choix à opérer : pousser la marque en retail, mais aussi en CHR… C’est bien plus compliqué que pour une marque de bijoux ou horlogère, 100 % orientée grand public. Les marques d’art de la table sont, elles, sur plusieurs fronts.

De plus, au fil des ans, le poids du CHR s’est accru, au point qu’il existe aujourd’hui une difficulté à trouver certaines marques en retail. Il y a désormais un enjeu pour les entreprises d’art de la table : travailler non seulement sur la marque mais aussi la manière pour le consommateur d’y accéder.

Il convient en outre de souligner l’érosion du maillage des boutiques d’art de la table : force est de constater qu’elle est plus vive que sur le reste du secteur HBJO. Leur nombre se contracte chaque année de manière significative, et si l’on pousse la tendance jusqu’au bout, nous aurons un problème de présence à l’esprit. C’est très bien d’être sur le web, mais l’enquête met en évidence que dans les trois univers concernés, le passage en point de vente physique, pour des raisons diverses et propres à chaque filière, reste un élément clé du parcours. L’art de la table souffre bien entendu du même phénomène que les autres commerces physiques avec l’arrivée du e-commerce venu bouleverser la donne, mais avec la particularité que ses produits sont pondéreux et parfois perçus comme fragiles : la complexité est plus marquée de ce point de vue que sur les secteurs HBJO. Or si le maping territorial des arts de la table devient trop faible, nous serons face à un réel enjeu en termes de visibilité des produits et de présence des marques françaises dans le circuit de distribution. Ce sont donc des problématiques structurantes, avec un enjeu fort sur l’omnicanalité en termes de communication et de logique de commercialisation.

Francéclat mène d’ailleurs un travail avec EY France sur une projection stratégique de la distribution HBJO à l’horizon 2030. Nous y voyons d’ores et déjà se dessiner trois profils aux trajectoires différentes : des commerçants indépendants en solo, dispersés dans de petites villes ou des implantations rurales ; des mini groupes et des regroupements ; et enfin les leaders de marché les plus importants. En art de la table, hormis EK France, il existe peu de regroupements de force en distribution. Des enseignes telles que Maisons du monde ont donc pu prendre de la place avec une approche plus massive et un univers complet. Ce qui fait la force des uns fait la faiblesse des autres, or le réseau de distribution d’art de la table a beaucoup souffert ces dernières années. Il y aurait toute une mobilisation collective à avoir pour réfléchir à ce qui pourrait être mis en place pour conserver un certain maillage et une forme de présence à l’esprit… Ce sont des sujets qui restent à débattre. Cette étude de notoriété fait donc ressortir des points d’inquiétude réelle.

Sur quoi la filière peut-elle s’appuyer pour émerger dans un univers de communication saturé ?

Sur le plan collectif, la Confédération des Arts de la Table, Francéclat et un certain nombre d’acteurs de la profession ont mis en place la plateforme Ensemble à table qui fait office de pont entre les différents acteurs : les consommateurs, les marques françaises et la distribution sélective. Par ailleurs, Francéclat propose via le dispositif Digi 1000, une aide à la digitalisation des commerces spécialisés sur les secteurs horlogerie, bijouterie et art de la table. Celui-ci permet de subventionner jusqu’à 50 % des dépenses de digitalisation dans la limite de 1 000 €. Mais ces initiatives collectives ne peuvent suffire.

Dans un monde idéal, il y aurait un sujet de consolidation des acteurs au bon sens du terme pour avoir des acteurs plus gros et plus structurés pour mobiliser des moyens plus étoffés y compris sur la communication.

De plus, de nombreux acteurs issus de la mode, tels que Sézane, Make my Lemonade, lancent des microcapsules d’art de la table qui rendent la catégorie tendance, désirable et abordable. Cela met en outre en évidence que l’intérêt pour ces produis existent bel et bien. Les produits d’art de la table, à l’instar de la bijouterie de mode/fantaisie, ont une distribution transverse : de nombreux acteurs l’intègrent à leur offre, ce qui induit aussi une forme de dilution et une difficulté à émerger.

L’art de la table bénéficie en outre de l’arrivée du luxe avec des acteurs tels que Dior Maison, etc. C’est un moteur de croissance supplémentaire pour les fabricants qui a nécessairement un impact sur la structuration de leurs entreprises et les moyens qu’elles peuvent allouer aux différents segments.

Une piste pour attirer les consommateurs de la Gen Z et les CSP+ pourrait revêtir la forme d’une communication de marque plus orientée sur l’achat plaisir, moins fonctionnel. La notion de transmission pourrait être aussi être activée entre les générations. En tout cas, ce sont des points que nous adressons au niveau collectif avec la campagne de communication Les arts de la table. Créateur d’inspirations, principalement sur les réseaux sociaux et en presse magazine. C’est une façon de répondre à cet éparpillement et à la faiblesse relative des acteurs.

Enfin, la force de l’art de la table français réside dans son lien historique à la gastronomie qui rejoint l’histoire et le storytelling des marques, ainsi que leur caractère créatif. Ce sont des points qu’il faudrait faire rayonner à l’international pour ne pas rester une filière petite et discrète.

Les résultats de l’étude de notoriété et image Opinionway pour Francéclat sont réservés aux entreprises ressortissantes de Francéclat.

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